Maroc-Espagne : Devoir de vigilance

Qu’une certain méfiance demeure, cela va de soi. Mais le risque qui semble désormais se poser est celui d’une rupture qui serait la conséquence d’une action menée de façon concertée en coulisses.

Le président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, a finalement eu raison de ne pas accuser le Maroc d’être derrière l’espionnage de son téléphone au moyen du logiciel Pegasus de la firme israélienne NSO: en effet, il s’est avéré que ce sont les propres renseignements de son pays, à savoir le fameux Centre national d’intelligence (CNI), qui tiraient les ficelles, d’où le limogeage de la directrice de ce dernier, Paz Esteban, ce 11 mai 2022. Entre le moment où, le 2 mai 2022, le ministre de la Présidence, Félix Bolaños, avait révélé l’existence de l’espionnage et le dénouement final, plusieurs parties non seulement en Espagne, mais également dans le reste de l’Europe pour ne pas citer le quotidien français Le Monde, s’étaient, ainsi, pressés de mettre en cause le Maroc, d’autant que l’infiltration du téléphone de M. Sanchez mais aussi de sa ministre de la Défense, Margarita Robles, également visée, était intervenue en mai 2021, à un moment où la crise consécutive à l’hospitalisation dans le pays ibérique du secrétaire général du mouvement séparatiste du Front Polisario, Brahim Ghali, battait son plein. “Nous avons la certitude absolue qu’il s’agit d’une attaque externe,” avait d’ailleurs assuré M. Bolaños lui-même, en écartant (naïvement) toute possibilité que le propre CNI ait été à la manoeuvre.

Mais comme le dit le verset, “la vérité est venue et l’erreur a disparu”, et si, désormais, l’affaire n’a plus à concerner le Maroc alors que donc cela n’a de toute façon jamais été le cas, il n’en reste pas moins qu’il est de nombreux enseignements à en tirer. Le premier peut-être, et il est sans doute important à souligner, c’est que M. Sanchez semble vraiment sincère dans sa “volonté d’ouvrir une nouvelle étape dans les relations entre” le Maroc et l’Espagne, comme le roi Mohammed VI et lui-même l’avaient réitéré lors de leurs entretiens du 7 avril 2022 au palais royal de la ville de Rabat. Deuxièmement: cette volonté ne semble pas partagée par tous, tant s’en faut. Du point de vue médiatique, ce sont les extrêmes, de droite et de gauche, espagnoles, principalement représentées par les partis Vox et Podemos, qui ont le plus donné de la voix pour, pour l’un, accuser M. Sanchez de “soumission”, et, pour l’autre, de “trahison” à l’égard du soi-disant “peuple sahraoui” du fait de la décision prise par le responsable de commencer à considérer au nom de son pays l’initiative pour la négociation d’un statut d’autonomie au Sahara marocain comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend autour de la région.

Mais autant ces parties ne font en vérité que surfer sur une vague dont elles se trouvent électoralement au creux et qu’aux dernières nouvelles l’extrême gauche notamment, en dehors de coups d’éclat tels la réception le 28 avril 2022 par le coordinateur fédéral du parti d’Izquierda Unida (IU) et ministre de la Communication, Alberto Garzon, d’une délégation du Polisario, n’a pas renoncé à l’alliance qui lui avait permis en janvier 2020 de former le gouvernement présidé depuis lors par M. Sanchez, c’est sans doute du côté de l’État profond espagnol, dont le CNI n’est qu’un élément, qu’il faut s’attendre à de véritables tentatives de nuisance. On a pu le ressentir dans la campagne médiatique lancée à son encontre aussitôt la sortie de M. Bolaños actée, le Maroc continue encore pour certains de faire figure d’ennemi, certes pas de façon aussi ridicule que ce que l’on peut voir du côté de l’Algérie, où l’installation en décembre 2019 du président Abdelmadjid Tebboune a donné lieu à une hystérie quasiment sans pareille dans l’histoire pourtant agitée des relations avec le Royaume, mais avec un degré de suspicion non moindre.

Ainsi, l’opinion exprimée en novembre 2021 par l’Institut de sécurité et de culture, un think tank espagnol, voyant dans le Maroc une “menace hybride” est sans doute loin d’être minoritaire outre-Gibraltar, et on peut imaginer que pour d’aucuns le rapprochement actuel est de nature à favoriser la réalisation d’un “secret agenda” marocain dont la volonté affichée de récupérer les présides occupés de Sebta et Mélilia ne serait qu’un élément. Qu’une certain méfiance demeure, cela va de soi: il est dans la nature même des États, y compris celui du Maroc, de ne jamais baisser la garde -à moins de faire preuve d’ingénuité. Mais le risque qui semble désormais se poser est celui d’une rupture qui serait la conséquence d’une action menée de façon concertée en coulisses: plus que jamais, les autorités marocaines et espagnoles se doivent de rester vigilantes.

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