Maroc-Espagne: Une "gestion calamiteuse" et une crise qui demeure

Il va sans dire que Pedro Sanchez continuera longtemps de traîner comme un boulet la rupture qu’il a provoquée avec le Royaume en choisissant de s’allier aux ennemis de son intégrité territoriale.

Ce ne sont pas que des fraises qu’on est, en cette fin de printemps 2021, en train de récolter en Espagne. La voisine du nord pourra, désormais, également se targuer de produire des tempêtes, elle dont le gouvernement a tout au long des semaines précédentes semé pas mal de vent en ouvrant 42 jours durant les portes de ses hôpitaux au secrétaire général du mouvement séparatiste sahraoui du Front Polisario, Brahim Ghali, et ce sous une fausse identité diplomatique algérienne pour, d’une part, le soustraire à la justice espagnole, qui le poursuit depuis novembre 2016 pour crimes contre l’humanité, tortures, génocide et séquestration, et d’autre part ne pas fâcher le Maroc -dont les services allaient toutefois découvrir le pot aux roses avant même le transfert du concerné dans la péninsule Ibérique.

C’est ainsi dans l’ordre des choses que les ports espagnols se retrouvent privés, au cours de l’été, de l’opération Marhaba, par le biais de laquelle les autorités marocaines accueillent chaque année l’importante diaspora nationale résidant en Europe, pour ne plus autoriser le retour maritime de cette diaspora que par le truchement de la France et de l’Italie. Une décision prise par Rabat en même temps que la réouverture des frontières nationales à l’égard des voyageurs internationaux provenant des pays où la vaccination anti-Covid-19 va bon train, et qui selon le quotidien espagnol La Razon, dans un article publié le 7 juin 2021, pourrait coûter 1,15 milliard d’euros à l’Espagne et à son économie.

Dans ce texte, on trouve notamment des déclarations accordées précédemment à l’agence de presse espagnole EFE par le directeur des ventes de la compagnie de transport naval FRS Iberia, Carlos Labandeira, qui avait estimé le manque à gagner du seul passage entre les deux rives à quelque 500 millions d’euros, mais aussi des propos du président de l’Association des entrepreneurs des services portuaires de la baie d’Algésiras (AESBA), Manuel Piedra, qui, toujours à EFE, avait indiqué que “chaque escale d’un navire dans un port [espagnol] génère des milliers d’euros de chiffre d’affaires dans de nombreux secteurs: le pilote, le remorqueur, le ravitailleur, le fournisseur, celui qui collecte les déchets, la blanchisserie, tout un amalgame de sociétés de services”.

Contexte de pandémie
C’est dire si la colère doit gronder à l’encontre du gouvernement Pedro Sanchez, qui depuis le début de la crise avec le Maroc s’était d’ores et déjà vu affaiblir auprès des Espagnols et plus particulièrement de la classe politique, notamment dans les rangs de la droite -ledit gouvernement est, lui, plutôt issu de la gauche, après avoir été formé en janvier 2020 par le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), dont M. Sanchez est par ailleurs le secrétaire général, avec la coalition Unidas Podemos.

Dans une interview diffusée le 2 juin 2021 par la télévision publique espagnole TVE, le secrétaire général du Parti populaire (PP), Teodoro Garcia Egea, avait même invité la ministre des Affaires étrangères, Arancha Gonzalez, à déposer sa démission, sachant qu’elle avait essuyé, le 27 mai 2021, le feu des critiques de l’ambassadrice du Maroc à Madrid, Karima Benyaïch, qui l’avait accusée, suite à “des déclarations à la presse et au parlement”, de “continue[r] de présenter de faux faits et de faire des commentaires inappropriés”.

Pour M. Garcia, Mme Gonzalez a fait preuve d’une “gestion calamiteuse” du dossier Ghali, tandis qu’à ses yeux l’ensemble du gouvernement Sanchez “a agi de manière lamentable”. “[Le gouvernement] n’a pas géré avec transparence,” a-t-il regretté.

Pour leur part, les principaux concernés donnent l’impression de ne plus vouloir hausser le ton, des “sources diplomatiques” allant jusqu’à assurer au sujet de l’exclusion de l’Espagne de l’opération Marhaba, dans une dépêche publiée le 7 juin 2021 par l’agence espagnole Europa Press, que “c’est une décision que nous respectons et qui intervient dans un contexte de pandémie où la sécurité doit être maximisée”, minimisant par là même la dimension politique de la chose.

Également, le ministre des Finances, porte-parole du gouvernement, Maria Jesus Montero, et son collègue de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaksa, avaient 1er juin 2021, lors de points de presse qu’ils ont donnés, assuré que la diplomatie était “en train de faire son travail”, le second cité allant jusqu’à souligner que “nous sommes tous conscients que la coopération, la collaboration et l’échange d’informations sont un gage de sécurité pour nos sociétés respectives.”

Dans un article publié le 8 juin 2021, le journal électronique OK Diario a, dans ce sens, fait état d’une médiation impliquant la vice-présidente du gouvernement espagnol, Carmen Calvo, qui à en croire le média entretiendrait “une bonne relation” avec Mme Benyaïch. On est en tout cas, en somme, loin de la sortie du 20 mai 2021 de la ministre de la Défense, Margarita Robles, taxant sur la radio nationale espagnole (RNE) le Maroc de tentative de “chantage” envers son pays au lendemain de l’afflux clandestin de quelque 10.000 migrants sur le préside occupé de Sebta. La responsable avait encore parlé d’“agression à l’égard des frontières espagnoles mais aussi des frontières de l’Union européenne (UE)”, cherchant du même coup à européaniser son conflit avec Rabat.

Afflux clandestin
Mais il faudra du temps, et sans doute un changement de gouvernement, pour que le Maroc décide de revoir ses cartes. Car ce dernier avait, dès le 1er mai 2021, et ce par la voix du ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, donné le libre choix à Madrid. “[M. Ghali] est un violeur qui a toléré l’esclavage, la torture, les crimes de guerre, les enfants soldats et le génocide, et l’Espagne le sait avant tout le monde. Veut-elle sacrifier sa relation avec le Maroc pour cette personne?”, avait alors demandé le chef de la diplomatie à des journalistes d’EFE. Et la réponse de la capitale espagnole a donc été que oui, elle le voulait; cela n’est donc pas une rupture provoquée, comme d’aucuns ont cherché à le véhiculer, par le Maroc.

Bailleur de fonds
L’impact pour l’économie nationale n’est bien sûr pas négligeable, puisqu’il faut rappeler qu’à ce niveau l’Espagne est, depuis 2012 et devant même la France, le premier partenaire du Maroc. Et comme l’avaient prévenu dès juin 2018 le Centre des hautes études de défense nationale (CESEDEN) et l’Institut espagnol d’études stratégiques (IEEE), deux think tanks relevant du ministère de la Défense espagnol, dans une note adressée à M. Sanchez, le Sahara marocain est, pour le Royaume, un “casus belli”.

Avec l’Allemagne, on voit d’ailleurs, pour des raisons analogues, les liens coupés depuis le 6 mai 2021 même si le pays d’Angela Merkel est un bailleur de fonds important, car il s’agit in fine d’une question d’orgueil national. Outre la migration irrégulière, les craintes ont surtout trait, côté espagnol, à la coopération antiterroriste, étant donné que, comme le soulignait par exemple le 21 mai sur la chaîne La Sexta l’ancien ministre de la Défense, José Bono, “grâce au Maroc, l’Espagne a pu arrêter de nombreux terroristes radicaux et grâce au Maroc nous avons pu éviter des attentats meurtriers”.

Le directeur général de la Surveillance du territoire national (DGST), Abdellatif Hammouchi, s’était d’ailleurs pour cette raison vu décerner, en octobre 2014 et septembre 2019, la croix honorifique du mérite policier avec distinction rouge et la grande croix de l’ordre du mérite de la garde civile. Mais à chacun donc d’assumer le vent qu’il choisit de souffler.

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