Le Maroc a capitalisé auprès de tous les belligérants des gages de crédibilité et de neutralité qui donnent à sa mission de «bons offices» un caractère singulier.
Le sommet de Berlin qui s’est tenu le 19 janvier 2020 sur le conflit libyen a-t-il été un succès? Personne ne le croit sérieusement; il semble bien, en effet, que l’unité de façade qui a été affichée à cette occasion ne résiste point à l’examen. Le choix des participants n’est pas d’une grande clarté ni marqué du sceau de la pertinence. Outre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne et France), il faut mentionner six autres Etats (Turquie, Italie, Egypte, Emirats arabes unis, Allemagne et Algérie) ainsi que des organisations internationales (ONU, Ligue arabe et Union africaine). (Lire notre dossier pages 26-29). Un absent à cette rencontre: le Maroc. Un fait pour le moins incompréhensible. Si la Tunisie, pays frontalier de la Libye, n’y a pas participé non plus c’est officiellement parce que l’invitation de ce pays a été tardive, deux jours auparavant seulement, mais que le Royaume n’ait pas sa place a été diversement accueilli. Par la voix du ministre des Affaires étrangères, le Maroc a fait part de son «profond étonnement quant à son exclusion de la conférence». Il a aussi souligné que le Royaume «a toujours été à l’avant-garde des efforts internationaux pour la résolution de la crise libyenne» et qu’il «a joué un rôle décisif dans la conclusion des accords de Skhirat qui sont, à ce jour, le seul cadre politique-appuyé et accepté par tous les protagonistes libyens...»
Cela signifie-t-il pour autant que la diplomatie marocaine soit désormais écartée de ce dossier? Rien n’est moins sûr. En diplomatie, il y a aussi des saisons. Pour l’heure, le sommet de la capitale allemande a abouti à quoi? A un communiqué commun qui ne règle pratiquement pas grand-chose. Ainsi, il invite les parties à respecter le cessez-le-feu signé laborieusement une semaine auparavant.
Un cessez-le-feu fragile sur la ligne de front entre les miliciens du gouvernement d’accord national (GAN) de Tripoli, dirigé par le chef du gouvernement Fayez al-Sarraj, et l’Armée nationale libyenne autoproclamée du maréchal Khalifa Aftar. Chacun de ces deux belligérants a des parrains connus: la Turquie d’Erdogan pour le premier, la Russie, l’Egypte, les Emirats arabes unis pour le second. La France ne l’assume pas mais soutient ces pays dans leur appui à Haftar. Les interférences et les ingérences vont-elles cesser? Personne ne le croit, les mêmes qui se présentent comme des «juges» à Berlin sont des «parties» en Libye pour de multiples raisons couplant des intérêts gaziers et pétroliers ainsi que des rivalités géostratégiques françaises et européennes, d’un côté, et le condominium turco-russe dans la région, dans le prolongement de leur influence en Syrie.
Tout cela, nul doute que le Maroc en prend l’exacte mesure. Il faudra bien qu’une solution politique finisse par prévaloir. L’option militaire est ce qu’elle est aujourd’hui mais elle ne peut consacrer ni la sécurité, ni la paix ni la réconciliation. Pour donner quelque effectivité au sommet de Berlin, il faudra bien que le Conseil de sécurité prenne en charge ce conflit avec les mesures éventuellement contraignantes appropriées. Et sur la table, qu’y a-t-il de bien opératoire? Les accords de Skhirat de décembre 2015, même s’il faut sans doute y apporter des éléments d’actualisation et d’approfondissement. Quels en sont les axes constitutifs? La restauration de l’autorité d’un Etat unique (un conseil présidentiel et un Premier ministre qui avait été alors choisi en la personne de Fayez al Sarraj, siègeant à Tripoli; un nouveau parlement substituant les deux organes en tant que Chambre des représentants pour celui de Tobrouk et en Conseil d’Etat pour celui de Tripoli). Après deux ans de transition politique, il était prévu de nouvelles élections législatives.
C’est cette parole-là que le Maroc aura à porter. Et il ne manque pas d’atouts pour être entendu. Le Royaume n’est pas en effet frontalier avec la Libye comme l’Egypte, la Tunisie et l’Algérie. Il a aussi capitalisé auprès de toutes les factions et des belligérants des gages de crédibilité, de neutralité aussi, qui donnent à sa mission de «bons offices» un caractère singulier dont aucun des participants à la conférence de Berlin ne peut exciper, leurs ambitions et leurs visées étant connues. Dans l’esprit des accords de Skhirat et dans la mise en oeuvre d’un nouveau processus qui sera laborieux et complexe, la voix du Maroc et le leadership de S.M. le Roi ne seront pas de trop pour aider le peuple libyen frère à surmonter l’épreuve qu’il subit depuis des années.