Lorsque la Troisième République française entreprend, à partir de 1912, ce que l’on appellera plus tard la “pacification” du Maroc, elle ne s’avance pas en terrain vraiment inconnu : en guise de livres de chevet, les officiers de son armée disposent des relations de voyage que de nombreux ressortissants européens, et plus particulièrement hexagonaux, ont consignées des décennies durant, à l’instar de la “Reconnaissance du Maroc” du futur saint catholique Charles de Foucauld. C’est que, on ne le soulignera jamais assez, l’information a, de tout temps, été au cœur de toute entreprise militaire qui se doit, et ce n’est pas la réussite des Lyautey, Gouraud et autres Alphonse Juin au cours de leurs expéditions marocaines qui va démentir cela, quand bien même la résistance qui leur fut offerte fut héroïque et même glorieuse par endroits (Elhri, Tazizaoute, Bougafer, entre autres).
De nos jours, les États n’ont plus besoin, comme il y a encore un siècle, de s’appuyer sur les écrits de quelque pérégrinateur, et cela, l’actualité récente au Liban est de nouveau venue le rappeler avec une acuité forte : au-delà du fait qu’Israël ait pu faire exploser, les 17 et 18 septembre 2024, des bipeurs et des talkies-walkies appartenant à des membres du Hezbollah, faisant par là une trentaine de morts et 3.500 blessés parmi les membres de l’organisation chiite pro-iranienne et parmi les civils, dont des enfants et des femmes. L’autre élément à retenir est qu’au final, l’appareillage électronique reste, en dépit de toutes les précautions qui peuvent être prises et que les hommes de Hassan Nasrallah ont certainement dû prendre, sauf crédulité mal inspirée, susceptible d’être phagocyté de l’extérieur. Et c’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle, sur un tout autre terrain de guerre israélien, à savoir celui de la bande de Gaza, le mouvement du Hamas a choisi, depuis pratiquement une année, de survivre en mode analogique, au risque pour lui d’être totalement rayé de la carte.
Autre événement qui va dans le même sens, quoique cela ne sente pas autant la poudre (du moins, pour l’instant) : l’annonce faite le 23 septembre 2024 par le président américain, Joe Biden, d’interdire l’importation et la vente de systèmes de véhicules connectés conçus, développés, fabriqués ou fournis par des entités ayant des liens avec la Chine et la Russie. La raison, c’est que le département du Commerce des États-Unis “a déterminé que certaines technologies utilisées dans les véhicules connectés provenant de la RPC (République populaire de Chine, ndlr) et de la Russie présent[aient] des menaces particulièrement aiguës”. “Ces pays préoccupants pourraient utiliser des technologies critiques au sein de nos chaînes d’approvisionnement à des fins de surveillance et de sabotage, compromettant ainsi la sécurité nationale”, a poursuivi un communiqué de la Maison-Blanche, en recourant à un argumentaire qui rappelle d’ailleurs celui sur lequel s’était appuyé il y a quelques années Washington pour convaincre ses alliés de ne pas recourir à la technologie de la 5G chinoise. Le fond de guerre commerciale entre l’oncle Sam et ses deux némésis du moment n’est bien évidemment pas loin, mais c’est aussi que la Chine, particulièrement, s’est effectivement rendue coupable à différentes reprises ces derniers temps de scandales d’espionnage qui, par exemple en Afrique, continuent de nourrir une suspicion prononcée à son encontre, notamment après qu’il s’est avéré en janvier 2018 que les services de renseignement chinois avaient placé une multitude de micros au siège de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba.
Inutile de le dire, et personne n’est tout compte fait, parmi nous, pour l’ignorer : le Maroc n’est, à l’image du reste des pays du monde, pas à l’abri, d’autant plus que sur son versant est se trouve un ennemi, pour ne pas citer l’Algérie, qui est disposé depuis son indépendance même, en juillet 1962, à le dépecer et éventuellement l’annihiler. Dans notre numéro précédent, nous avions d’ailleurs bien évidemment mis en évidence comment la junte militaire au pouvoir de l’autre rive de l’oued Kiss avait mis en place, depuis le tournant de la décennie, toute une organisation, chapeautée par le Haut Conseil de sécurité algérien lui-même, en vue de mener une véritable guerre de déstabilisation contre le Royaume, et comment c’est dans le cadre de cette guerre qu’a été fomentée la campagne sur les réseaux sociaux poussant les jeunes Marocains à tenter, le 15 septembre 2024, l’aventure de la migration irrégulière du côté du préside occupé de Sebta (n°1545, du 20 au 26 septembre 2024). Qui dit qu’Alger voudra s’arrêter dans ce qui constitue pour elle un si “bon” chemin ?
On l’a vu, au Liban, c’est la vie de milliers de citoyens qui est en jeu, mais on l’a aussi vu, avant, avec les campagnes françaises au début de la colonisation : c’est de souveraineté qu’il s’agit avant tout, en dernier ressort. Sommes-nous bien suffisamment prêts ?