Une équation impossible
Et maintenant? Que va-t-on faire? Le blocage relatif à la formation d’une majorité par le Chef du gouvernement désigné, Abdelilah Benkirane, va-t-il encore persister? L’élection, lundi 16 janvier 2017, du dirigeant de l’USFP, Habib El Malki, à la présidence de la nouvelle Chambre des représentants va-t-elle ouvrir une piste de solution? Ou bien, au contraire, ne risque-t-elle pas de complexifier une situation politique déjà passablement erratique?
Un premier élément de réponse peut être donné en revenant sur les conditions dans lesquelles s’est opéré ce vote. D’abord, et contrairement à la tradition de toutes les précédentes législatures, il était le seul candidat. Ni le PJD, ni le PAM, ni le PI n’ont jugé utile de proposer l’un des leurs, dégageant ainsi un boulevard à l’élu socialiste. Le vote de chacun d’entre eux est, de surcroît, significatif.
Plan d’action
Le PJD a entretenu l’ambiguïté jusqu’au dernier moment et ses 125 députés se dont abstenus. La formation de Nabil Benabdallah, le PPS, a opté pour un vote de même nature. Mais le parti de l’Istiqlal a quitté la séance, refusant de participer à ce scrutin. En revanche, de l’autre côté, la mobilisation s’est faite pour faire élire le candidat retenu avec les voix des députés de son parti, l’USFP, et celles du PAM, du RNI, du MP, de l’UC et du MDS. Son élection à la majorité absolue, soit 198 voix sur 342 suffrages exprimés, fait évidemment sens. Elle veut dire que la “majorité” est là et que M. Benkirane et ses deux alliés (PPS et PI) sont une “minorité”. Elle concrétise aussi le plan d’action retenu dès le 8 octobre dernier entre quatre de ces partis (PAM, RNI, USFP et UC), à savoir: l’élection du même Habib El Malki au “perchoir” de la Chambre, la mise en place d’une majorité incluant le MP, et le barrage fait à la formation d’une majorité par M. Benkirane qui allait être nommé par le Roi comme Chef du gouvernement désigné dans les jours qui allaient suivre, conformément aux dispositions de la Constitution (art. 47, al.I). Trois mois après, voilà donc ce plan réactivé…
Un “package” non négociable
A partir de cet acte, que va-t-il se passer? Le PJD mesure que le camp d’en face poursuit sa marche. Aziz Akhannouch maintient sa position de négociation formulée dans le communiqué commun publié le dimanche 8 janvier et place la barre au niveau d’une alliance de quatre partis (RNI, MP, UC et USFP), pratiquement à prendre ou à laisser. Un “package” non négociable même si, après coup, a été avancée l’idée que ce n’était pas là une condition. Pour l’heure en tout cas, le président du RNI persiste et signe dans sa position. Deux points doivent être cependant distingués à cet égard. Le premier a trait au nouveau statut de l’UC de Mohamed Sajid. Déjà le 30 octobre 2016, lors de la rencontre avec Benkirane, Akhannouch avait demandé la participation de l’UC, arguant que son parti allait former un groupe parlementaire commun avec cette formation et qu’un processus d’union était à l’ordre du jour.
Concessions réciproques
Ce groupe a été formé avec les 37 députés du parti de la colombe et les 19 de l’UC, soit un total de 56. A cette date, ne se posait pas la question d’une alliance avec l’USFP, ce parti s’installant dans l’ambiguïté et proclamant alors qu’il allait aider Benkirane à travailler. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, le leader du PJD ayant rompu tout contact avec le parti de la rose alors que le président du RNI lui a fait une place à ses côtés.
Sur ces bases-là, Benkirane a reçu, ces derniers jours, Mohamed Sajid et il est prêt à prendre en compte la représentation de cette formation dans la mise sur pied d’une majorité. Mais le Chef du gouvernement désigné, en revanche, n’est aucunement disposé à accorder le même traitement au parti de Driss Lachgar. Il est admis qu’il ne cèdera pas sur ce point, quitte à faire traîner les choses.
L’on est donc en face de deux rigidités –ou de positions de principe, si l’on préfère– paraissant irréconciliables. Des concessions réciproques peuvent-elles être envisagées? C’est peu probable. Et si d’aventure un éventuel compromis pouvait être laborieusement trouvé, tout cela laissera certainement des traces dans le futur gouvernement. La confiance va-t-elle arriver à s’installer entre les uns et les autres? Les exigences de solidarité et de collégialité vont-elles prévaloir?
De nombreuses interrogations
La recommandation royale du 24 décembre 2016 pour mettre sur pied une majorité “dans les plus brefs délais“ peine à s’appliquer. Près d’un mois après, de nombreuses interrogations ne peuvent être évacuées ni même minorées. Première question: à partir de quelle date pourra-t-on considérer que cette majorité est une mission impossible? Benkirane prendra-t-il l’initiative pour dresser finalement un constat d’échec et remettre sa démission? Rien, dans le texte constitutionnel ne lui impose d’ailleurs de se décider dans ce sens, la loi suprême n’ayant pas prévu que le Roi puisse démettre le Chef du gouvernement, qu’il soit désigné ou investi.
Faudra-t-il que le Roi tire les conclusions qui s’imposent et demande à Benkirane de lui remettre sa lettre de démission? L’absence du Souverain en tournée africaine –et de Aziz Akhannouch, ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime– ne permet pas d’avancer jusqu’au 1er février au moins, soit le lendemain de la fin du 28ème sommet de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba, fixé pour les 30 et 31 janvier. Et rien ne paraît indiquer que des contacts soient entretenus d’ici là par tel ou tel canal informel…
Signe d’apaisement
En tout état de cause, il faudra bien clore ce dossier, d’une manière ou d’une autre sans qu’une solution ne traîne encore durant le mois de février. Benkirane, aujourd’hui, n’a aucune marge de manoeuvre pour faire une concession. Quand bien même il serait dans un état d’esprit d’ouverture –comme en témoigne le vote d’abstention de ses députés lundi 16 janvier en signe d’apaisement– il ne peut pas, semble-t-il, aller plus loin.
Mais Benkirane n’a pas eu d’accord à propos de sa proposition, dimanche 15 janvier, de faire voter les députés PJD pour Habib El Malki à la présidence de la Chambre des représentants en compensation d’un soutien critique de son gouvernement, durant un an, avant l’intégration de l’USFP dans la nouvelle majorité. Des positions s’apparentant à des tranchées et qui, faute d’un compromis, conduiraient à envisager une sortie de crise sur d’autres terrains…