Regroupement familial, conditionnement des aides sociales, caution pour les étudiants, régularisation des travailleurs sans papiers, déchéance de la nationalité, OQTF... La loi immigration, adoptée dans la nuit de mardi à mercredi 20 décembre 2023 par le parlement français, constitue un tournant majeur, voire une rupture dans la politique migratoire de la France.
Avec 46.000 étudiants marocains qui poursuivent leurs études en France chaque année, une diaspora marocaine de 1,5 millions de personnes, dont 670 000 de binationaux, la principale nationalité bénéficiaire de premiers titres de séjour depuis 2018 avec plus de 30 000 octrois par an, selon l’observatoire de l’immigration et de la démocratie, la nouvelle loi risque de modifier en profondeur le quotidien des immigrés marocains.
Que faut-il retenir de la nouvelle loi immigration ? Maroc Hebdo fait le point sur ce qui va changer pour les étrangers.
Regroupement familial
Les conditions du regroupement familial vont connaître de nouvelles modifications introduites par le nouveau texte. Si, jusque-là, un étranger vivant en France en situation régulière pouvait faire venir sa famille après 18 mois de résidence régulière sur le sol français, il lui faudra désormais attendre 24 mois. Dans le cas où la personne serait mariée, son conjoint devra désormais être âgé d’au moins 21 ans, contre 18 actuellement, afin de prétendre la rejoindre.
Les membres de sa famille devront remplir certaines conditions pour arriver en France, notamment la maîtrise d’un certain niveau de français, sans lequel ils se verront dans l'obligation de passer un examen. Enfin, la possibilité de regroupement familial dépendra des ressources financières de la personne vivant en France, qui, si elles devaient jusqu’à maintenant être « stables », devront désormais être « stables, régulières et suffisantes ». La personne devra également disposer d'une assurance maladie.
Conditionnement de l’accès à certaines aides sociales
L’accès à certaines prestations sociales dites « non contributives », c’est à dire dont peut bénéficier toute personne qui travaille et vit sur le territoire français, même sans avoir jamais cotisé à la Sécurité sociale, sera conditionné pour les étrangers qui sont des ressortissants hors Union européenne, dont les Marocains. En clair, pour bénéficier de l’aide personnalisée au logement (APL), des allocations familiales, ou encore de l’allocation personnalisée d’autonomie, le demandeur devra justifier de cinq années de résidence en France.
Il existe des exceptions : s’il travaille depuis 3 mois en France ou dispose d’un visa étudiant pour les APL, ou bien travaille depuis 30 mois pour les deux autres prestations (allocations familiales, ou encore de l’allocation personnalisée d’autonomie). Ces prestations dont le montant est indexé à une situation particulière, comme le nombre d’enfants à charge ou encore le niveau de revenus, était jusqu’alors accessibles aux étrangers en situation régulière au même titre que les Français. Cependant, ces dispositions ne s’appliqueront pas aux réfugiés, aux apatrides, ni aux détenteurs d’une carte de résident de dix ans, et ne concerneront ni l’allocation enfant handicapé, la prestation de compensation du handicap et l'allocation versée en cas de décès d'un enfant.
Caution pour les étudiants étrangers
Avec la nouvelle loi immigration, les étudiants étrangers, dont les Marocains figurent en tête, devront déposer une « caution de retour » dont le montant sera fixé par décret, et qui leur donnera accès à un premier titre de séjour donnant accès aux études en France. Cette caution leur sera restituée si les étudiants quittent la France à la fin de leurs études ou s'ils obtiennent un contrat de travail. Les étudiants dont les revenus sont trop faibles ou dont le parcours scolaire relève de l’excellence en seront exemptés. Elisabeth Borne, la première ministre française, a tempéré en déclarant que la somme exigée devrait être « minime ».
Droit du sol
Un durcissement des modalités d’accès à la nationalité française. Aujourd’hui, un enfant né en France de deux parents étrangers obtient automatiquement la nationalité française à ses 18 ans en remplissant deux conditions : avoir vécu en France au moins 5 ans de façon continue ou discontinue depuis ses 11 ans, et résider en France à la date de ses 18 ans. Aucune démarche n’est nécessaire de la part de l’intéressé pour obtenir la nationalité française, qui lui est automatiquement octroyée. Il est également possible d’obtenir la nationalité plus tôt, à l’âge de 13 ans, avec une démarche administrative qui doit être à l’initiative de l’enfant ou de ses parents, avec le consentement de l’enfant.
Dorénavant, l’obtention de la nationalité à 18 ans ne sera plus automatique. L’enfant né de parents étrangers devra "manifester sa volonté" d’obtenir la nationalité française et engager une démarche entre ses 16 et ses 18 ans pour espérer l’obtenir. Cela ne sera pas possible si l’enfant a été condamné pour des crimes. Le droit du sol existe en France depuis le 19 octobre 1945. Il a connu une modification une première fois en 1993 sous le gouvernement de droite d'Édouard Balladur. Il a été mis fin à l’automaticité de l’obtention de la nationalité française pour les enfants nés en France de parents étrangers. Comme la loi actuelle, ces derniers devaient à l’époque « manifester leur volonté » d’obtenir la nationalité, entre 16 et 21 ans. En 1998, ce texte de loi a été remplacé par la loi relative à la nationalité, qui rétablissait le caractère automatique de l’obtention de la nationalité française.
Titres de séjour
Supprimé en 2012 par François Hollande, le délit de séjour irrégulier refait surface à la faveur de la nouvelle loi immigration. Tout étranger qui séjourne en France sans visa ou avec un visa expiré sera passible de 3 750 euros d’amende et d’une peine complémentaire de trois ans d’interdiction du territoire français. Pour le ministre de l’Intérieur français, Gérald Darmanin, son rétablissement permettra de mieux lutter contre l’immigration illégale. Les conjoints de Français et parents d’enfants Français verront eux aussi leurs conditions de délivrance de titres de séjour durcies. S’ils avaient besoin de trois ans de séjour régulier en France pour obtenir une carte de résident, le délai sera désormais porté à cinq ans.
Régularisation des travailleurs sans papiers
Les travailleurs sans papiers travaillant dans les métiers en tension (BTP, de la restauration, etc.) seront régularisés, à condition de résider en France depuis au moins trois ans et d’avoir une activité salariée d’au moins 12 mois. Le travailleur sans papier pourra désormais entreprendre ses démarches de régularisation seul, sans l’aval de son employeur, ce qui était jusqu’ici interdit. Reste que la décision de leur accorder ce titre dépendra de la discrétion des préfets.
Aide médicale d’État
Sa suppression ne fait pas partie de la version finale du texte, et l’AME doit rester en place. Le gouvernement français a toutefois promis de la réformer en 2024. L’aide médicale d’Etat offre aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'une prise en charge à 100% des soins médicaux. On estime aujourd’hui à 466 000 les personnes qui bénéficient de cette aide.
Refus ou retrait d’un titre de séjour en cas de non-respect des « principes de la République »
Tout demandeur d’un titre de séjour doit souscrire « un contrat d’engagement au respect des principes de la République », dans lequel il s’engage à respecter « la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République ». Un demandeur qui refuse de signer ce contrat « ou dont le comportement manifeste qu’il n’en respecte pas les obligations » ne pourra obtenir aucun document de séjour. En cas de manquements graves à ce contrat d’engagement, l’autorité administrative pourra retirer ou ne pas renouveler un titre de séjour.
Exclusion des personnes visées par une obligation de quitter le territoire français (OQTF) du droit à l’hébergement d’urgence
Le texte prévoit qu’un étranger visé par une OQTF peut être hébergé au sein du dispositif d’hébergement d’urgence uniquement « dans l’attente de son éloignement ». le délit de séjour irrégulier voté par le Sénat est conservé. Ce délit est sanctionné d’une amende de 3 750 euros et de trois ans d’interdiction du territoire.
Déchéance de nationalité
Instauration de la déchéance de nationalité pour un individu ayant aquis la nationalité française et coupable d'homicide volontaire sur une personne dépositaire de l'autorité publique.