Paru le 13 avril 2023, le livre des spécialistes Jean-Louis Levet et Paul Tolila dénonce sans concession les maux de la société algérienne qu’ils incombent à un régime dépassé par les évènements. Et pour eux, la “racine du mal” vient sans hésitation d’une “histoire officielle” biaisée et un complotisme effréné des dirigeants.
«Rien ne va mal en Algérie sans que soient impliquées les intentions malveillantes des “autres”, que ce soit la France, le Maroc ou tout pays qui servira opportunément de repoussoir idéologique commode». Après 5 années d’immersion (2014-2019) au sein de la société algérienne et dans les rouages du système politique du voisin de l’Est, Jean-Louis Levet et Paul Tolila ont mis le doigt là où ça fait mal pour Al-Mouradia.
Mandatés par le gouvernement de François Hollande dans la cadre d’une mission de coopération, les deux auteurs expliquent que “l’aiguille historique de l’Algérie semble bloquée sur sa guerre d’indépendance qui occupe une place et un statut officiels pour l’État algérien qui revendique ouvertement le monopole de sa narration officielle”. Elle n’est en aucun cas un objet d’investigations libres pour les historiens. Tout comme ses archives d’ailleurs, jamais ouvertes. Ironique retournement, quand des historiens ont la capacité de travailler sur des archives algériennes, il s’agit de documents saisis et emportés par l’armée française au cours de ses opérations.
Double posture
En Algérie, ce ressassement sur la guerre de libération comme «épopée» (un terme très utilisé par Bouteflika dans ses communiqués à l’intention des journaux) avec «un seul héros, le peuple» et un seul grand criminel, la France colonialiste, ne trompe plus personne et surtout pas une jeunesse qui désespère de son avenir. “Non seulement plus personne n’y croit du côté algérien, mais une des revendications majeures du Hirak reste une demande de comptes sur l’histoire réelle des luttes de libération et de l’Algérie depuis 1962.
Les questions concernant la mort d’Abane Ramdane déclaré mort « au champ d’honneur » en première page d’El Moudjahid en 1958, alors qu’il avait été assassiné au Maroc par ses opposants au sein du FLN fin 1957, sont symptomatiques d’une lassitude et d’un refus”, peut-on lire dans l’ouvrage de 384 pages. Cette volonté de maintenir le “storytelling” autour de la guerre d’indépendance permet en réalité au régime algérien de maintenir une double posture. “Dans les États nouveaux (nuovi stati), les dirigeants doivent savoir être lions ou renards selon les contextes.
C’est ce que font les pouvoirs d’Alger : lions contre leur propre peuple qu’ils quadrillent, matraquent ou emprisonnent à loisir avec une pratique épouvantable de la justice et une conception de l’opposition politique dont la sanction peut aller jusqu’à l’assassinat, et renards en projetant vers l’extérieur une image de victime éternelle de la colonisation, de puissance morale dénonciatrice du racisme, des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité, maniant la notion de génocide avec une très déplaisante désinvolture et n’hésitant pas à insuffler ces intouchables vérités au sein de leur propre émigration en France”.
En celà, les auteurs dénoncent la complaisance d’une certaine intelligentsia française. “Il est curieux de voir une attitude symétrique et très complaisante à l’égard des thèses des pouvoirs d’Alger se développer, non pas chez les historiens, mais dans les médias français et sur les réseaux sociaux qui relaient sans beaucoup de recul critique les postures dites «décoloniales», voire «indigénistes» et «racisées» comme le dernier combat à la mode à mener”...