Omettant les différends historiques qui les opposent, Paris et Alger se liguent contre le Maroc. Une relation dangereuse aux conséquences désastreuses sur la stabilité du Maghreb.
“Notre aveuglement est une erreur historique: croire à Paris qu’en allant à Alger, en cédant aux Algériens sur les dossiers qui leur sont chers, mémoire et visas, nous les gagnerons à notre cause et les amènerons vers plus de coopération est un leurre”: c’est en ces termes que s’exprimait le 8 janvier 2023 sur les colonnes du quotidien français du “Figaro” Xavier Driencourt.
Ce dernier, qui avait notamment été, de juillet 2017 à septembre 2020, à la tête de l’ambassade de France dans la voisine de l’Est et connaît donc bien le pays ainsi que ses dirigeants, faisait là référence à la question de la “rente mémorielle”, comme il l’avait à maintes reprises déjà appelé par le passé. Par ce moyen, selon l’analyse du diplomate, la junte militaire algérienne instrumentalise la période coloniale française pour chercher à grappiller le maximum de concessions à l’ancien colonisateur.
“Rente mémorielle”
Un mécanisme que le président français, Emmanuel Macron, avait d’ailleurs lui-même décrit lors d’une rencontre qu’il avait eue fin septembre 2021 avec des descendants de protagonistes de la guerre d’Algérie. Le locataire de l’Élysée avait même eu recours à la même expression de “rente mémorielle”, ce qui avait suffisamment fâché Alger pour qu’elle reste plus de trois mois durant sans ambassadeur en poste en Hexagone. Mais si M. Macron croit personnellement à l’existence du phénomène, pourquoi se laisse-t-il faire?
Car depuis qu’il est entré en mai 2017 en fonction, il a, en somme, passé son temps à contenter la partie algérienne. Les rares fois où il ne l’a pas fait, comme par exemple dans l’affaire Amira Bouraoui, c’est simplement parce qu’il n’avait pas d’autre choix: du fait qu’elle est porteuse de la nationalité française, la concernée ne pouvait être laissée aux mains de la junte, dont il était clair qu’elle lui intentait un procès éminemment politique en raison de son engagement passé au sein du mouvement de protestation du Hirak.
Autrement, on avait vu ses services intervenir pour empêcher le président kabyle, Ferhat Mehenni, de s’exprimer début octobre 2022 sur la chaîne CNEWS, et ce en totale contradiction avec les lois de la République française. Qui sait si, s’il en avait la possibilité, il ne serait pas allé jusqu’à déclarer terroristes le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) ou l’organisation islamiste “Rachad”, comme le souhaite l’Algérie? Et qui sait, pour ce qui concerne plus particulièrement le Maroc, s’il n’avait pas fini par reconnaître la soi-disant “République arabe sahraouie démocratique” (RASD) n’était le poids dont jouit le Royaume au sein de la classe politique française elle-même? Même s’il donne l’impression d’être plutôt lucide, au plan de l’analyse, quant à la spirale perverse narcissique où ses vis-à-vis algériens semblent vouloir l’entraîner, M. Macron n’a néanmoins clairement pas saisi le fait que ces derniers perçoivent tout rapport comme un jeu à somme nulle, où il ne peut y avoir que des gagnants et des perdants et jamais de compromis.
Magistrature suprême
Au niveau maroco-algérien, la question du Sahara oriental, qui a récemment défrayé la chronique bilatérale suite notamment au dossier de couverture qu’y avait consacré Maroc Hebdo dans son numéro 1476 daté du 2 au 8 mars 2023, en est l’illustration parfaite, dans la mesure où le Maroc est automatiquement taxé d’expansionnisme dès lors qu’est soulignée, sans même de revendication officielle, la marocanité historique de la région concernée, tandis que dans l’autre sens la spoliation de cette dernière est considérée comme normale et ne devait pas souffrir la moindre contestation, même dans un cadre purement académique (comme la directrice des Archives royales, Bahija Simou, l’a notamment appris à ses dépens).
Ayant peut-être trop rapidement accédé à la magistrature suprême sans véritable expérience politique à son actif, M. Macron est peut-être, in fine, aveuglé par son ambition apparente de marquer l’histoire de la France, y compris sur cette question de l’Algérie. Chose que les observateurs mettaient, avant même sa première élection, en exergue, suite à la visite qu’il avait effectuée au cours de sa campagne en février 2017 à Alger et où il avait appelé, dans une tribune publiée dans le journal électronique “Tout sur l’Algérie” (TSA), à l’établissement d’un “nouveau pacte collectif”.
Coopération accrue
Dans le même sillage, M. Macron avait également confié, en juillet 2020, à l’historien Benjamin Stora le soin de superviser un rapport sur “la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie”, rendu six mois plus tard avec une série de recommandations portant sur une vingtaine de points de controverse. Et dans sa fougue, l’autoproclamé “Jupiter” semble avoir, en outre, été entraîné par son ex-chef de la diplomatie, Jean-Yves Le Drian, pro-algérien notoire comme on l’est classiquement au sein de l’ancienne garde du Parti socialiste (PS) français -dont le concerné avait été, plus de 40 ans durant jusqu’en mars 2018, un cacique-: concrètement, M. Macron a cru, et croit peut-être encore, qu’Alger pouvait être le véritable axe de sa diplomatie maghrébine, en incluant le hinterland saharo-sahélien, allant par exemple jusqu’à en faire son principal relais au Mali.
Et il se dit aussi que le renseignement français, en guerre sousjacente depuis de nombreuses années avec son homologue marocain depuis l’affaire de la convocation du directeur général de la Surveillance du territoire national (DSGT), Abdellatif Hammouchi, par la justice hexagonale, lui aurait fait remonter des notes plutôt favorables à une coopération accrue avec l’Algérie.
Au final, celle-ci aura, en lieu et place, contribué à l’implantation du concurrent russe par le biais de la société militaire privée de Wagner: comme le soulignait, en avril 2021 au parlement, l’ancien ministre du Travail, El Hachemi Djaaboub, la France semble de toute façon condamnée à rester “l’ennemi éternel” des Algériens, qui pour leur part feront toujours davantage confiance à d’autres acteurs, et en l’occurrence, dans le cas d’espèce, Moscou.
Et cela, la médecine psychosomatique proposée par M. Macron n’y pourra probablement rien, en dehors de continuer à servir une soupe plus que bienvenue pour les généraux. Somme toute, un “leurre”, comme aurait dit M. Driencourt.