Un salafiste hors-jeu
Ce fut une joie de courte durée. Une ascension politique rapidement avortée. Jeudi 15 septembre 2016, Hamad Kabbaj apprend l’invalidation de sa candidature aux élections législatives du 7 octobre. Annoncé le 26 août à tête de liste du Parti de la justice et du développement (PJd), principale formation de la coalition gouvernementale, dans la circonscription Marrakech- Gueliz, le prédicateur salafiste a reçu une lettre du Wali de la région de Marrakech-Safi, dans laquelle ce dernier lui annonce notamment son inéligibilité.
Une véritable douche froide pour le concerné, mais aussi pour ses partisans et les membres PJD. Dans les détails, la correspondance, publiée par M. Kabbaj lui-même sur sa page Facebook, précise que «l’enquête administrative menée au sujet de ce dossier de candidature a montré que le concerné a affiché à de nombreuses occasions des attitudes et positions contraires aux principes fondamentaux de la démocratie, consacrée par la constitution, en véhiculant des idées extrémistes incitant à la discrimination et à la haine, conduisant à la division et à la violence au sein de la société marocaine».
Cette décision a provoqué un tollé encore plus grand que lors de l’annonce de la candidature de M. Kabbaj. A commencer par l’intéressé luimême, qui n’a pas fait dans la dentelle, s’adressant, quelques heures après avoir reçu ladite lettre, à la plus haute autorité du pays en la personne du Roi Mohammed VI, pour contester l’«injustice » dont il dit être victime.
Décision controversée
Un recours symbolique et surtout désespéré qui n’aura servi à rien, si ce n’est qu’à protester, puisque le PJD a préféré remplacer le candidat disqualifié par Youssef Ait Lhaj Lahcen, secrétaire régional de l’Union nationale du travail au Maroc, centrale syndicale proche du parti islamiste, à la tête de sa liste à Marrakech-Guéliz, plutôt que de recourir à la justice administrative pour contester la décision de l’Intérieur.
Une décision qui ne manquerait pas de fondements, du moins selon les autorités, alors que la position de M. Kabbaj ne cessait de se détériorer. Ses détracteurs, de tous bords, se multipliaient, profitant de ses anciennes sorties médiatiques pas assez «calculées» puisant parfois même dans le discours extrémiste takfiriste.
Lourd passif
Il faut dire que M. Kabbaj a été rattrapé par son passé controversé. Sa plus grande erreur, celle qui a probablement fait déborder la tasse, remonte à 2015. Dans plusieurs de ses prêches, le prédicateur salafiste charge violemment les juifs, les comparant à «une vipère dont la queue est installée en Palestine, mais dont les crocs menacent de mordre dans n’importe quel autre territoire du monde». Longtemps passés sous silence, ces propos ont été sortis par le journaliste et un animateur télé marocain, mohamed Tijini, qui a même diffusé sur la chaine Youtube de son émission des enregistrements sonores des prêches «judeo-phobes» données par M. Kabbaj.
Egalement, dans un communiqué rendu public quelques heures après l’annonce de l’invalidation de la candidature de M. Kabbaj, l’association Touche pas mon enfant «salue la décision du ministère de l’intérieur et exhorte la société civile et l’opinion publique à voter pour la démocratie, le renouveau et la modernisation pour éviter que de telles personnes prêchant la haine et jugeant mécréant quiconque s’oppose à eux d’accéder à des postes de pouvoir».
La même organisation, connue pour son engagement dans la lutte contre la pédophilie, est déjà montée au créneau contre le prédicateur salafiste quelques jours après l’annonce de sa candidature, arguant être surprise de la «candidature d’un salafiste takfiriste disciple de Mohamed Meghraoui connu pour encourager le mariage des fillettes à partir de l’âge de 9 ans». En effet, le prédicateur salafiste de 39 ans était membre de l’association «Prédication et Coran», dont le fondateur, M. Meghraoui, est souvent présenté comme la figure emblématique du wahabisme au Maroc, ce courant jugé «ultra-intégriste» dont les origines remontent aux 18ème siècle en Arabie Saoudite. Quoi qu’il en soit, la décision d’interdire M. Kabbaj donne matière à débattre. Premièrement, et essentiellement, vu le contexte politique actuel au Royaume.
A l’approche des élections législatives, le PJD, parti parrain du prédicateur salafiste axe sa campagne sur un discours d’affrontement avec certains appareils de l’Etat, bien qu’il soit le principal parti de la coalition au pouvoir, et dont le secrétaire général, Abdelilah Benkirane, est chef du gouvernement.
En témoigne la dernière sortie du ministre de la Justice et dirigeant du PJD, Mustapaha Ramid, qui a choisi sa page Facebook pour contester son «écartement» des préparatifs des prochaines législatives, «précisant que contrairement aux élections communales de 2015, il n’est plus consulté » par le département de Mohamed Hassad.
Bras de fer électoral
Par conséquent, M. Ramid se défausse, dans sa publication datée du 18 septembre 2016, de tout «dépassement ou régression qui pourront être constatés lors du scrutin du 7 octobre», ajoutant même que «des choses bizarres se trament à trois semaines des élections», sans pour autant en préciser la nature.
La veille de ces propos, Abdelilah Benkirane a préféré, quant à lui, faire profil bas, se contentant de saluer les «qualités» de son candidat déchu, qu’il a qualifié d’homme «éclairé et mesuré». Intervenant lors du grand oral des anciens de Sciences Po et de l’école Centrale et Supélec, le chef du gouvernement a précisé que en tant de secrétaire général du PJD, il est «soumis » au pouvoir de l’Etat, expliquant que Hammad Kabbaj pouvait saisir la justice, mais il a préféré s’adresser au roi.