L'État impuissant face au drame de Jerada


Les manifestations populaires se poursuivent dans la ville de Jerada


La visite d’une délégation ministérielle, conduite par le ministre de l’Énergie et des mines, Aziz Rebbah, dans la ville, n’a pas convaincu les habitants. La révolte populaire continue de battre son plein.

Après Al Hoceima, la ville de Jerada, au Nord-est du pays, se soulève. Un soulèvement qui s’amplifie jour après jour. Lundi 8 janvier, une importante manifestation s’est déroulée devant la préfecture et la mairie de la ville. Ce rassemblement populaire intervient trois jours seulement après la visite d’une délégation ministérielle conduite par le ministre de l’Énergie et des mines, Aziz Rabbah, jeudi 4 et vendredi 5 janvier. Une visite interprétée comme une réponse politique du gouvernement aux revendications socioéconomiques de la population. Le ministre a notamment promis un plan de travail consistant à offrir 10.000 postes d’emploi, en plus des mesures immédiates et d’autres à plus long terme. Ces mesures comprennent, entre autres, un nouveau plan de développement participatif pour créer des emplois et une nouvelle cartographie des ressources minières potentiellement exploitables.

Conditions inhumaines
Mais les réponses apportées par l’émissaire gouvernemental n’ont pas du tout convaincu les habitants, qui les jugent insuffisantes et même ridicules. Selon un militant associatif, membre de la section locale de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), Saïd El Manjami, «nous en avons marre, nous n’en pouvons plus de cette façon de considérer nos revendications. Le ministre évoque des grands projets, mais quand on examine la réalité, nous rencontrons la pauvreté dans ses expressions les plus extrêmes. Nous attendons des faits concrets sur le terrain. Le citoyen de Jerada souffre d’une injustice incroyable du fait qu’il doit descendre 70 mètres sous terre pour gagner sa vie. Cette réalité doit changer. C’est notre position à Jerada et nos manifestations continueront jusqu’à ce que nous obtenions nos droits.»

Ce cri de coeur sonne comme une charge émotionnelle contre le gouvernement. Depuis le 22 décembre 2017, des rassemblements populaires mais pacifiques ont mobilisé, presque tous les jours, des milliers de personnes qui dénoncent la dégradation de leurs conditions de vie.

“Silicose Valley”
Ce mouvement contestataire a été déclenché par la mort accidentelle de deux frères, piégés sous terre alors qu’ils cherchaient du charbon dans un puits clandestin. Si, après le drame, les autorités entendent renforcer le contrôle des permis d’exploitation qui permettent à leurs détenteurs d’extraire en toute légalité du charbon, les manifestants, eux, demandent des sanctions sévères contre les barons du charbon qui exploitent les travailleurs locaux. En effet, outre les rémunérations dérisoires qui leur sont accordées, les mineurs travaillent dans des conditions inhumaines dépourvues de tout dispositif de sécurité ou de protection.

Les manifestants n’hésitent pas à accuser des notables de la ville, dont des élus locaux, soupçonnés de faire extraire à bas coût du charbon dans des puits miniers officiellement fermés. En activité de 1927 à 1998, la célèbre mine de Jerada, seul site d’exploitation des charbonnages au Maroc, a employé près de 9.000 mineurs pour exploiter des gisements d’anthracite très profonds et peu sécurisés. Avant sa fermeture, le dernier administrateur de la mine avait fait publiquement état de conditions de travail difficile, de cas de silicose fréquents, avec des dizaines d’accidents mortels par an. D’où le surnom accordé à Jerada, «Silicose Valley», en référence à cette terrible maladie courante chez les travailleurs des mines.

Des sujets de colère
Provoquée par l’inhalation prolongée de fines poussières de charbon, la silicose est considérée comme une maladie mortelle. D’après les chiffres officiels du ministère de la santé, on estime à 2.000 le nombre de personnes atteintes de cette maladie, alors que les acteurs sociaux parlent de 6.000 malades dans la ville.

Longtemps connue pour sa forte tradition syndicale, Jerada est actuellement l’une des villes les plus pauvres et les plus marginalisées du pays. Le prix de l’eau et de l’électricité est un des sujets de colère à Jerada, les manifestants demandant la gratuité tandis que les autorités proposent des facilités de paiement pour les factures en retard. Située à une soixantaine de kilomètres au sud d’Oujda, cette ville aux couleurs rouge-brique connaît des vagues de froid sibérien en hiver et devient une véritable fournaise en été. Un inconfort climatique qui, ajouté aux difficultés économiques, rend la vie des habitants encore plus pénible, voire insupportable.

Pour de nombreux commentateurs, le gouvernement de Saâd Eddine El Othmani entame l’année 2018 avec un nouveau dossier chaud alors que celui du hirak d’Al Hoceima n’est pas encore clôturé. Une situation qui met le Chef du gouvernement et son équipe dans une réelle situation d’embarras. Ce qui complique encore sa tâche et son mandat pour les tout prochains mois.

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