Au début de cette année 2024, j’avais lancé un cri du coeur, évoquant le choix déchirant des Casablancais face à leur souffrance quotidienne: «Entre la peste et le choléra, le calvaire du transport dans la cité blanche» (chronique publiée dans le numéro 1515 du journal) . Les mois ont filé, et le Ramadan, avec son cortège de rituels et de traditions, n’a fait qu’amplifier une crise déjà insoutenable.
L’espoir avait pourtant pointé le bout de son nez avec l’introduction du busway et des lignes de tram T3 et T4, qui annonçaient peut-être la fin du tunnel pour les usagers épuisés. Mais, contre toute attente, ces nouvelles veines censées irriguer la ville d’un flux fluide se sont avérées être des artères obstruées qui ont aggravé la congestion dans les rues déjà saturées. Dans les cafés, sur les places et sur les réseaux sociaux, un murmure courait parmi les habitants, celui d’un métro et d’un RER qui pourraient dessiner les contours d’une ville transformée. Pourtant, ces rumeurs restent suspendues dans le vide, en attente d’une concrétisation qui tarde à venir. Malgré l’intérêt manifesté par le nouveau wali de la ville, Mohamed Mhidia, pour plonger dans l’étude de ces projets salvateurs, le pas décisif vers l’action demeure à franchir. En effet, depuis 2008 déjà, l’idée d’un métro traverse les discussions sans jamais s’ancrer dans la réalité, éclipsée par la mise en place du tramway et des bus de service qui, malgré leurs promesses, peinent à répondre à l’ampleur du défi.
La maire de la ville, Nabila Rmili, entrevoit pour sa part un futur où un RER, en synergie avec l’Office national des chemins de fer et le Conseil régional, tissera un réseau vital entre Casablanca et ses périphéries. Ce projet audacieux promet de reconfigurer les déplacements, de simplifier la vie des habitants. Mais la route vers cette révolution est jonchée d’obstacles financiers et bureaucratiques qui font de cela un rêve dont le dénouement est encore incertain. Il est à noter toutefois que le récit tragique du transport au Maroc transcende les limites de Casablanca et s’étend à tout le pays dans un cycle sinistre de négligence et de désolation.
Il y a seulement deux semaines, Azilal s’est retrouvée au coeur d’un drame déchirant: dix vies brisées et douze blessés dans un accident évitable, résultant d’un entretien défaillant du système de freinage d’un véhicule de transport mixte. Les victimes étaient ou bien des enseignantes, ou bien des élèves de cette région éloignée. Un rappel brutal de la fragilité de la vie sur les routes marocaines. Ce n’est pas un incident isolé; c’est une répétition d’une histoire bien trop familière. En août 2023, un minibus, sans licence et surchargé, a plongé dans un ravin, emportant avec lui tous ses passagers - vingt-quatre personnes qui ne verront jamais leur destination. Ces tragédies, parmi les plus lourdes en termes de pertes humaines ces dernières années, ne sont que la partie émergée de l’iceberg.
Les routes du Maroc, souvent comparées à un jeu de roulette russe pour les usagers les plus modestes, reflètent une réalité amère: une infrastructure dangereuse, un manque flagrant de régulation et de contrôle des véhicules de transport, et une indifférence choquante pour la vie humaine. Ces accidents ne sont pas de simples statistiques; ils sont le symptôme d’un système profondément défectueux qui valorise peu les vies des citoyens. Malgré une légère baisse de la mortalité routière, avec plus de 3.200 décès l’année dernière, ces chiffres restent une condamnation sans appel de l’état actuel des choses. L’heure n’est plus aux demi-mesures ou aux solutions temporaires. Ce n’est donc pas juste une question de retard ou de confort comme à Casablanca, mais une question de vie ou de mort. Le Maroc est alors confronté à un choix impérieux: continuer sur cette voie mortifère ou prendre des mesures radicales pour sécuriser ses routes et protéger ses citoyens.