Salaheddine Mezouar et son homologue espagnol, José Manuel Garcia. En médaillon, le juge P ablo Rafaël Ruiz Gutierrez - Ph : DR
PROVOCATION. Un juge espagnol poursuit des personnalités marocaines pour “crime contre l’humanité” au Sahara, entre 1975 et 1991; au moment où le Conseil de sécurité de l’ONU se prononce, comme chaque année, sur ce dossier.
À l’évidence, les relations entre le Maroc et l’Espagne semblent profondément marquées par le climat méditerranéen. Instable. Surtout en cette saison printanière de transition climatique. À l’origine de la houle actuelle sur le Détroit, la requête déposée par le juge Pablo Rafaël Ruiz Gutierrez auprès du tribunal espagnol de Madrid, le 9 avril 2015, au nom de “l’Association de solidarité avec les familles des victimes et des disparus sahraouis”.
Si on ne savait pas de quel côté de Tindouf le juge a placé les victimes et les disparus, on est très vite fixé. Dans sa requête, le magistrat espagnol dévoile d’emblée ses cartes. Il appelle à la recherche et à l’incarcération de onze personnalités marocaines accusées de crime contre l’humanité au Sahara marocain, entre le 15 décembre 1975 et le 23 avril 1991. Il y joint une plainte additive conte X pour les mêmes délits supposés, sur la période du 6 novembre 1975 au 7 octobre 1992. Du coup, on a assisté à une intense activité diplomatique des deux côtés du Détroit et de l’Atlantique.
Justice à la commande
Salaheddine Mezouar, ministre des Affaires étrangères, a dû se surmultiplier, faute d’avoir le don d’ubiquité, pour raccommoder les débuts de fissures avec Madrid, tout en étant présent à New York. Car le timing de la démarche du juge espagnol n’est pas fortuit; aussi vrai qu’il n’y a pas de hasard dans ce genre d’affaires. Cela arrive au moment où le secrétaire général de l’ONU présente son rapport annuel sur le Sahara devant le Conseil de sécurité. Une pression politique dûment datée, comme on a l’habitude d’en connaître à pareille période. Idem pour la régularité d’horloge qui caractérise la machine diplomatique algérienne déployée sur toute sa voilure, avec un cas invariable sur le Sahara marocain. Sachant que le juge Pablo n’est pas subitement sorti des bois de son plein gré, il n’est pas superflu de feuilleter le contenu d’un dossier qui n’est certainement pas instruit que par son auteur affiché. L’avocat marocain, Sabri L’hou, du barreau de Meknès et expert en droit international, livre les clés pour décoder les méandres d’une jungle judiciaire qui peut fonctionner à la commande.
Pour donner une assise juridique à sa démarche, le juge Pablo s’est référé à deux décrets espagnols datés du 10 janvier 1958 et du 14 décembre 1961, qui considèrent Sidi Ifni et le Sahara comme des départements territoriaux de l’Espagne. Il a également estimé qu’à partir du moment où la question du Sahara est entre les mains de l’ONU, la souveraineté juridique de l’Espagne y court toujours. Et, la souveraineté tout court, pendant qu’on y est.
Vérité historique
D’un effet de manche, le juge Pablo a fait table rase des énoncés de la constitution espagnole de 1978, qui fait de l’Espagne un ensemble de 17 régions autonomes, sans citer le Sahara, son ancienne possession coloniale. Et pour cause, car cela répond à un souci de cohérence avec le décret du 19 novembre 1975 annonçant la fin de la présence espagnole au Sahara. Ce qui constitue une consécration des accords de Madrid du 14 novembre 1975, paraphés quelques jours après la Marche verte.
Les accords par lesquels l’Espagne a remis l’administration de ce territoire à ses dépositaires originels. Le juge Pablo a superbement ignoré les accords de Madrid parce qu’ils constituent une entorse à sa démarche procédurière et un contre-exemple opposable à son dispositif argumentaire. Il a préféré continuer de croire, mordicus, que le Sahara relevait toujours de la juridiction espagnole; envers et contre les faits historiquement datés, établis et définitivement scellés par la rétrocession du Sahara à la souveraineté marocaine.
Le juge Pablo commet une autre contradiction qui aggrave son décalage par rapport à la réalité. Il demande aux autorités marocaines de procéder à l’appréhension des personnes accusées par ses soins, sur un territoire qui est, pour lui, encore et toujours espagnol. Un élément de procédure est à relever. L’Espagne a adopté le principe d’universalité qui permet à sa justice de poursuivre des personnes pour des délits supposés, où qu’ils soient et quelle que soit leur nationalité. Un principe qui a mis l’Espagne, à plusieurs reprises, dans des embarras diplomatiques inextricables. Le juge Pablo ne s’en est pas servi, car du moment où le Sahara fait toujours partie intégrante de l’Espagne, la territorialité de la justice espagnole suffit. Nul besoin donc d’aller chercher une universalité de compétence.
Au regard de ses tribulations judiciaires, absolument abracadabrantesques, on se demande comment un juge peut passer outre les lois de son pays, y compris celles qui relèvent des institutions constitutionnelles, garantes de l’État de droit et régissant le fonctionnement de la justice.
L’existence d’un lobby antimarocain, bien ancré dans les circuits diplomatiques et dans les médias, n’a jamais raté une occasion pour envenimer ce voisinage, quitte à user de moyens immoraux défiant tous les fondamentaux déontologiques.
Il suffit de se remémorer les événements de Gdeim Izik d’octobre 2010, au moment où plusieurs habitants de ces provinces du Sud ont organisé un campement dans la région de Laâyoune, pour faire valoir leurs revendications socio-économiques. Le Maroc a eu à faire face à une rare campagne de désinformation.
L’agence de presse espagnole, EFE, a publié l’image d’un enfant sahraoui qui aurait été blessé par les “méchants marocains”. Il s’est avéré, par la suite, qu’il s’agissait d’un enfant palestinien, victime des frappes israéliennes sur Gaza, en 2008.
Intérêts bien compris
La chaîne de télévision espagnole “Antena3” a fait pire. Elle a diffusé, le vendredi 12 novembre 2010, l’image de corps ensanglantés imputés aux forces d’intervention marocaines, alors que les victimes appartenaient à la famille Rachidi qui avait été tuées, le 26 janvier 2010, par un déséquilibré mental, à Casablanca. La chaîne en question a été condamnée, le 9 juillet 2012, par le tribunal de Bruxelles à une réparation aux préjudices moraux et matériels à la famille concernée. Lors de son dernier déplacement en Espagne, le 13 avril 2015, Salaheddine Mezouar et son homologue espagnol, José Manuel Garcia, ont dû revenir aux fondamentaux et aux intérêts bien compris des deux pays, à savoir la coordination de la lutte anti-terroriste, l’endiguement de l’immigration clandestine et les échanges économiques.
Des facteurs déterminants et durables, par-delà les entourloupettes politiciennes commanditées et monnayées par l’Algérie. Il semble que la voie de la raison ait été entendue, puisque le juge Pablo Rafaël Ruiz a été muté dans une autre localité et remplacé par un magistrat un peu moins sensible aux arguments tentants d’Alger.
En continu
Les divagations du juge Pablo
- par Abdellatif Mansour
- 20-04-2015
- Politique