Les amours voilées de Lahbib et Soumia

Benkhaldoune-choubani
L’idylle entre les ministres Benkhaldoun et Choubani, vie privée ou affaire d’État ?


POLÉMIQUE. Deux ministres qui décident de se marier entre eux, ce n’est pas très courant. Quand ils  relèvent d’un parti au référentiel islamiste, les critiques ont vite fait de tourner au lynchage politicomédiatique.  Et c’est Abdelilah Benkirane qui se retrouve dans l’embarras.

“C’est un beau roman, c’est une  belle histoire ...” Ce joli couplet  de Michel Fugain, que les  moins de vingt ans ne peuvent  probablement pas connaître, pourrait bien  résumer cette “fredaine” de Soumia Benkhaldoun  et de Lahbib Choubani. Deux êtres  qui paraissent s’aimer d’amour tendre.  Banal, dira-t-on: c’est la vie! Une telle  histoire ponctue tant la vie sociale, sous  toutes les latitudes et elle ne mérite pas  que l’on s’y arrête. Mais, précisément, elle  est singulière par bien des traits, ce qui  lui vaut une surmédiatisation dont les  protagonistes se seraient bien passés.  Pour commencer, deux ministres  qui décident de se marier  entre eux, ce n’est pas très  courant. Ce n’est pas au  sein d’un gouvernement,  quel qu’il fût d’ailleurs,  que pareille équation a de  fortes chances de s’épanouir,  tant s’en faut. En  principe, à ce niveau-là, les  vies familiales de chacun  sont déjà faites. C’était le  cas du “couple” Benkhaldoun-  Choubani, tous  deux mariés avec des  enfants; et même des  petits-enfants pour  la première. Mais  il semble bien que  le “démon de  midi” –ici, à la  cinquantaine  alors que  d’ordinaire il  sévit autour  de la quarantaine– ait frappé. Soumia divorce  voici un an. Une décision prise, dit-elle, sans  autre perspective de substitution avec Lahbib.  Qui peut savoir? Et après tout, l’on ne veut pas  savoir...
Mais, par vagues successives, leur relation  se développe, enfle et déborde le petit cercle  des potins mondains pour s’engouffrer dans  le champ médiatique et partisan. Les rumeurs  le cèdent aux circuits des réseaux sociaux,  prompts à faire feu de tout bois, souvent pour  tenter de meubler l’oisiveté, le mal-être, la solitude  ou tant d’autres ressorts peu avouables.  Une sous-culture qui se veut, chez certains, la  forme la plus avancée de la “démocratie participative”.  Allons, allons!... Passons. C’est pourtant  le responsable d’un parti, Hamid Chabat,  pour ne pas le nommer, qui, dans sa harangue  istiqlalienne, le 5 avril 2015, dans un meeting  à Errachidia (dont est natif Lahbib Choubani),  qui dénonce cette idylle en révélant l’identité  des deux ministres. Il sort la grande tirade: des  familles sont ainsi brisées, cela n’arrive qu’avec  ce gouvernement...

“Démocratie participative”
Que faire? Soumia et Lahbib réagissent sur  un autre terrain: celui de l’annonce de leurs  fiançailles. Loin de calmer le jeu, si l’on ose  dire, ils le compliquent. Pourquoi? Parce que  Lahbib, toujours marié, se fait accompagner  de son épouse pour demander la main de Soumia,  censée être la seconde. Un emballement  s’ensuit à propos de cette procédure: il ravive  le régime juridique de la polygamie. Un dossier  tellement clivant depuis longtemps.
Les postures dominent mais est-ce le bon  angle d’interpellation? Les indignations et les  dénonciations auraient sans doute gagné à se  préoccuper d’une faille dans la conduite de Lahbib Choubani. A-t-il respecté les conditions  exigées par la loi pour prendre une  seconde épouse? Il dispose de ressources  suffisantes pour subvenir à de nouvelles  charges créées par deux familles. A-t-il respecté  la procédure prévue par l’article 42  du code de la famille de 2004, qui prescrit  une demande d’autorisation à cet effet?  Tel n’est pas le cas.
Cela dit, cette histoire ne pouvait pas  ne pas entraîner un certain nombre de  conséquences. La première d’entre elles  interpelle, qu’on le veuille ou non, le Chef  du gouvernement, Abdelilah Benkirane,  dirigeant du PJD. Son embarras était  évident, et il l’a fait dire. Que décider? Il  n’a pas été consulté, ce qu’on ne peut lui  reprocher parce qu’il n’est pas conseiller  conjugal. Mais ne devait-il pas s’autosaisir  en invitant “ses” deux ministres à une  solution? Mais laquelle? Les empêcher  de se marier? Difficile. Les pousser à  accélérer leur mariage pour mettre fin à  un climat détestable? Pas davantage faisable.  Bénir leur union et les faire démissionner  de son gouvernement? Possible  sur le papier, mais la faisabilité de cet  acte n’est guère évidente pour diverses  raisons: accord du Roi, validation de leur  limogeage et substitution par deux nouveaux  ministres suivant des procédures  ad hoc du PJD, contexte préélectoral pouvant  pénaliser le parti,...
Bref, M. Benkirane a suivi le déroulé  des choses, donnant l’impression qu’il  ne pouvait pas décider dans un sens ou  dans l’autre alors que, dans son propre  camp, des voix s’élevaient tant chez ses  parlementaires que dans les rangs des  membres du Conseil national pour faire  état des dégâts de ce feuilleton. Ce n’est  que lundi 27 avril 2015, lors d’une réunion  avec Saâdeddine El Othmani et Mustapha  Ramid, respectivement président du  Conseil national du PJD et ministre de la  Justice et des Libertés, que fut arrêtée une  décision en présence de Lahbib Choubani:  l’annonce des seules fiançailles sans  mariage pour l’heure, et ce tant qu’ils  seront membres du gouvernement. Le  feu n’est pas éteint, mais il veut contenir  les flammes...

Une seconde épouse?
La crédibilité de ces deux ministres en  prend certainement un coup et il leur sera  difficile d’être audibles dans le champ  politique national et en particulier dans  l’exercice de leurs attributions à la tête de  leur département. Ils seront d’autant plus  exposés et fragilisés que leurs attributions  sont bien particulières et bien sensibles:  Lahbib Choubani est en conflit ouvert et  durable avec une bonne partie des ONG  et Soumia Benkhaldoun est ministre délégué  à l’Enseignement supérieur. Que le  premier ait vu ses deux projets de loi organique  retoqués, jeudi 16 avril 2015, par  le Conseil de gouvernement, pour  être revus par une commission  interministérielle, paraît bien  révélateur de la fragilité de  son statut actuel.  Enfin, par-delà ces péripéties,  n’est-ce pas la  “normalité” du PJD et  de ses ministres qui  paraît s’imposer trois  ans après la mise  sur pied de ce gouvernement?  N’est-il  pas pratiquement  en phase avec  la société, ses  emballements  et ses contradictions,  ses  pulsions et ses  compulsions:  m a r i a g e ,  d i v o r c e ,  fiançailles, remariage en vue? Sauf qu’ils sont  ministres, que la procédure vise à la bigamie  et qu’elle a été accompagnée par  la première épouse. La barque est trop  chargée et elle n’émet pas un signe fort  d’avancée dans la condition féminine.  Surtout qu’un certain voyeurisme  se conjuguant à un lynchage  médiatique et politique  n’a pas manqué de  nous faire revenir  bien en arrière,  dans le glauque  d’une atteinte  intolérable à la  vie privée.

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