Avec Driss Lachgar encore au poste de premier secrétaire, le parti de la rose ne semble pas vraiment outillé pour faire bonne figure aux élections à venir.
En juillet 2015, Maroc Hebdo regrettait, en renvoyant au sort du Parti de l’Istiqlal (PI) et de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), que “tout fout[e] l’camp”. “Jamais, en effet, les deux partis n’ont semblé aussi moribonds,” écrivions-nous. Il faut dire que les formations concernées se trouvaient alors livrées aux conflits intestins, avec même du côté de l’USFP une scission qui avait débouché sur la création du Parti de l’alternative démocratique (PAD) -enterré ceci dit, moins d’un an plus tard, par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Mohamed Hassad. Ce qui n’en faisait plus, au mieux, comme allaient d’ailleurs le confirmer les communales et les régionales de septembre 2015 et surtout les législatives d’octobre 2016, que des partis d’appoint.
Depuis lors, le PI a, sous les commandes de Nizar Baraka, élu en octobre 2017 secrétaire général, grandement retrouvé de sa superbe et se pose même sérieusement comme candidat pour emporter à l’issue des législatives de cette année 2021 la primature (lire numéro précédent). Mais pas vraiment l’USFP, qui continue de voir Driss Lachgar occuper le poste de premier secrétaire, et ce depuis le IXe congrès de décembre 2012. Dans ce sens, la démission, le 26 mars 2021, de l’écrivain et poète Hassan Najmi du bureau politique du parti est plus qu’éloquente.
Intérêts personnels
Ce dernier, pour motiver sa décision, annoncée au cours d’un débat organisé en ligne par le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), avait indiqué qu’il préférait s’en tenir à une attitude de “contemplations”, en attendant que “les choses reviennent à leur trajectoire historique et [que] la situation historique soit corrigée”. Avant de mettre notamment en cause, dans la foulée, des pratiques d’achats des accréditations, les fameuses “tazkiyyates”, nécessaires pour pouvoir briguer un mandat d’élu. “Estce raisonnable?,” s’est-il exclamé.
Ce sur quoi M. Lachgar, au cours d’une intervention qu’il avait donnée quatre jours plus tard dans la ville de Benslimane à l’occasion de l’inauguration du nouveau siège provincial de l’USFP, avait refusé de s’attarder, se contentant d’accepter le retrait de M. Najmi. Et d’aucuns considèrent la désignation, le 28 mars 2021, de son fils, Hassan Lachgar, comme tête de liste dans les circonscriptions de Youssoufia et de Rabat Chellah, dans la préfecture de Rabat, comme un pied de nez à tous ceux qui adopteraient un ton similaire à celui de M. Najmi, car même s’il s’agit là d’une décision de la commission locale des élections, il n’en reste pas moins qu’elle n’est pas pour démentir les accusations régulièrement portées à l’encontre de M. Lachgar de privilégier ses intérêts personnels au détriment de ceux du parti -on lui avait également tenu rigueur, en août 2017, la nomination du même Hassan Lachgar à la direction du cabinet de Mohamed Ben Abdelkader à l’époque où celui-ci dirigeait le département de la Réforme de l’administration et de la Fonction publique dans le gouvernement Saâd Eddine El Othmani I.
Il n’y a, de toute façon, plus grandmonde pour tenir tête, au sein de l’USFP, à M. Lachgar. En désormais plus de huit ans donc à mener le parti, il s’est défait de chacun de ses adversaires, à commencer par le courant que menait de son vivant feu Ahmed Zaïdi, mort dans un tragique accident de voiture en novembre 2014, et qui avait donc fini par fonder le PAD, tout en serrant sa poigne autour des différents appareils, qu’il s’agisse de la Jeunesse ittihadie, sa section jeunesse -dont le secrétaire général depuis juillet 2014, Abdellah Sibari, est un “lachgarien” de la première heure-, ou de son bras syndical, la Fédération démocratique du travail (FDT) -qui s’était même à un moment retrouvé, à partir de septembre 2014, dans une situation bicéphale, avec deux “têtes” contestant chacune à l’autre sa légitimité.
Même les porte-voix médiatiques de la formation que sont les quotidiens arabophone Al-Ittihad Al-Ichtiraki et francophone Libération n’ont pas échappé, avec la destitution, en janvier 2015, de Abdelhadi Khairat de son poste de directeur de publication.
Méthodologie démocratique
Une situation de total contrôle qui constitue une quasi première dans l’histoire longue de plus de 46 ans de l’USFP, elle-même née d’une scission de l’Union nationale des forces populaires (UNFP) et qui donc porte dans son ADN, en quelque sorte, la contestation et l’esprit de divergence. Et c’est là, par conséquent, un bien mauvais symptôme, non forcément un avantage.
À sa décharge M. Lachgar avait hérité d’un parti meurtri notamment par son acceptation de figurer, à partir d’octobre 2002, dans le gouvernement Driss Jettou, alors même que c’est à lui que devait revenir alors l’Exécutif -plus grand nombre de siège aux législativeset que par là même, selon le mot resté célèbre de feu Abderrahmane Youssoufi, il y avait eu absence de conformité à la méthodologie démocratique.
Sans parler des nombreuses déceptions personnelles, qui avaient notamment amené une partie de la direction de la Jeunesse ittihadie ainsi que la Confédération démocratique du travail (CDT) à plier, en octobre 2001, bagage. M. Lachgar, qui fut à un moment président du groupe parlementaire, fit d’ailleurs lui-même partie de ces “ittihadis” qui s’estimaient injustement mis sur la touche, n’ayant par exemple pas hérité dans le gouvernement Abbas El Fassi de portefeuille -il finira, finalement, par obtenir en janvier 2010 le maroquin des Relations avec le Parlement, après avoir notamment ressorti des cartons la vieille idée du penseur Mohamed Abed Al-Jabri d’un “bloc historique” avec les islamistes et donc le Parti de la justice et du développement (PJD).
Certains soulignent aussi qu’in fine, l’actuelle direction a permis le retour, en avril 2017, au gouvernement de l’USFP, plus de cinq ans après l’avoir quitté, en plus d’avoir enlevé, en janvier 2017, la présidence de la chambre des représentants en la personne du président de sa commission administrative, Habib El Malki, mais il y a là aussi lieu de rappeler que c’était dans le cadre du jeu des tractations pour la formation d’un nouveau cabinet entre d’un côté le PJD et de l’autre le Rassemblement national des indépendants (RNI), et que le parti de la rose a en vérité été davantage spectateur qu’acteur.
En tout cas, l’USFP gagnerait sans doute à bénéficier dans le futur d’un premier secrétaire plus à même de lui redonner souffle, car quoiqu’on dise M. Lachgar a, au plan électoral pur, échoué à ce niveau, parvenant à peine notamment en 2016 à remporter les 20 sièges nécessaires pour maintenir un groupe parlementaire à la chambre des représentants -contre 39 députés, cinq ans plus tôt, sous Abdelouahed Radi.
Et il semble peu probable que les scrutins à venir, législatifs mais aussi communaux et régionaux, permettent de renverser la vapeur. M. Lachgar avait, dès mars 2019 dans une interview au quotidien Assabah, promis qu’il ne ferait pas changer les statuts dans un sens lui permettant de rempiler une autre fois -son actuel mandat est son deuxième-, et le moins que l’on puisse dire donc est que l’USFP a tout intérêt qu’il tienne parole...