La légalité de l’accord de pêche Maroc-UE devant la juridiction européenne


La diplomatie de l’hypocrisie


Une nouvelle crise diplomatique entre le Maroc et l’UE se profile à l’horizon. Cette fois encore, c’est la position mitigée et hypocrite des instances européennes au sujet des accords incluant le Sahara marocain qui en serait la cause.

“L’Accord de pêche Maroc/UE n’est pas valide dans la mesure où il s’applique au territoire et aux eaux du Sahara occidental”. C’est la conclusion d’une consultation faite, mercredi 10 janvier 2018, par l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), Melchior Wathelet. Un avis consultatif qui ne s’impose pas à la Cour européenne, le donneur d’ordre. Sauf que celle-ci a tendance à le prendre en considération dans ses arrêts.

Et ce n’est pas la conclusion, seule, qui déconcerte autant les responsables européens que marocains. Me Wathelet est allé au-delà du simple diagnostic juridique de l’accord de pêche Maroc-UE en proposant à la Cour européenne de se déclarer compétente pour instruire cette affaire et estime que l’association plaignante est habilitée à contester la légalité de l’accord de pêche. Plus accablant est encore son propos lorsqu’il évoque l’exploitation exercée par l’accord de pêche, quand il déclare que celle-ci «vise presque exclusivement les eaux adjacentes au Sahara dans la mesure où les captures représenteraient environ 91,5% des captures totales effectuées par les opérateurs européens ». Rajoutant de l’huile au feu, Me Melchior Wathelet souligne au final que l’accord de pêche et les actes l’approuvant «sont incompatibles avec les dispositions des traités qui imposent à l’UE que son action extérieure protège les droits de l’homme et respecte strictement le droit international».

Il va même jusqu’à estimer que la contrepartie financière versée au Maroc par l’UE au titre de l’accord (30 millions d’euros par an) devrait bénéficier presque exclusivement au peuple sahraoui. Pour mieux comprendre, à l’origine de cette consultation, une plainte déposée par Western Sahara Campaign (WSC), une ONG pro-Polisario, auprès de la justice britannique, où elle reproche au Royaume-Uni d’agir de manière illégale en appliquant l’accord de pêche Maroc-UE et, en particulier, en accordant un traitement tarifaire préférentiel aux produits originaires du Sahara, certifiés en tant que produits originaires du Maroc.

Un message politique
La justice britannique a préféré soumettre la question à la CJUE afin de trancher sur la question si l’association WSC a le droit de contester la validité d’actes de l’Union pour non-respect du droit international et si l’accord de pêche est bel et bien valide au regard du droit européen. Même si l’avis de l’avocat général n’équivaut pas à une décision de la CJUE, il n’en demeure pas moins qu’il penche la balance du côté des pro-Polisario. Les regards se sont tournés une fois encore vers les responsables de l’UE, après le précédant de 2016 inhérent à l’accord agricole Maroc- UE ayant adopté la même manoeuvre diplomatique avec les mêmes mots-clés qui dérangent: statut contesté du Sahara occidental, manque de garanties nécessaires que les populations du Sahara occidental bénéficient réellement de l’exploitation de leurs ressources...

En réaction à cet avis, l’UE a émis un message politique, très conservateur: «Le Maroc est un partenaire stratégique dans notre politique de voisinage sud», ne se hasardant pas à commenter un avis «consultatif» de l’avocat général de la CJUE. Pour rappel, c’est en puisant dans ces mots-clés ou arguments que la CJUE s’était prononcée en décembre 2016 en rejetant l’accord agricole Maroc-UE, ce qui avait provoqué une crise diplomatique et où Rabat a même menacé de geler sa coopération avec l’UE au cas où ce verdict venait à être appliqué.

Réactions inattendues
Les chassés-croisés de visites et de pourparlers ont alors battu tous les records pour trouver une issue à la situation d’impasse politique et diplomatique. Et, in fine, l’UE s’était engagée à prendre les mesures nécessaires visant à pérenniser l’accord agricole et empêcher sa résiliation. Va-t-on revoir le même épisode avec un accord de pêche d’une durée de 4 ans et qui arrive bientôt à échéance, plus précisément le 14 juillet 2018? C’est fort probable si l’on prend en compte le précédent de la Cour de justice de l’union européenne d’une part auquel se greffent les réactions inattendues de deux grandes puissances européennes. La première est l’Espagne, le pays qui profite le plus de cet accord de pêche et qui a 74 chalutiers dans les eaux marocaines. Le gouvernement ibérique a tenu une réunion d’urgence, vendredi 12 janvier 2018, avec les trois régions autonomes concernées par l’accord de pêche avec le Maroc (Andalousie, Galicie et les Iles Canaries) pour réfléchir à une stratégie de crise au cas où la Cour s’aligne sur l’avis de son avocat général.

Double jeu européen
Du côté de l’Allemagne, première puissance économique européenne, le secrétaire d’État au ministère fédéral de l’Économie et de l’Énergie (BMWi), Matthias Machnig, a appelé, dans une lettre adressée au Parlement en réaction au projet de loi présenté par un député portant sur la résiliation de tous les investissements des entreprises allemandes dans la région du Sahara, et appelant toutes les entreprises allemandes et à leur tête la société Siemens, à se désister de leurs engagements d’investissements dans cette région du Royaume en respect du droit international. Paradoxe, un rapport d’évaluation établi en décembre 2017 par la Direction des affaires maritimes de la Commission européenne sur les retombées socio-économiques de l’accord de pêche avec le Maroc, a recommandé de renouveler l’accord de pêche -qui arrivera à échéance en juillet 2018-, compte tenu que l’accord procurait des emplois dans le Sahara et que les régions de Dakhla-Oued Eddahab et Laâyoune-Boujdour-Sakiat El Hamra concentraient quelque 66% de l’enveloppe totale de l’appui sectoriel, soit environ 37 millions d’euros (si l’on compte également les 10 millions d’euros de contributions des armateurs européens). Le double jeu du partenaire européen consolide une fois encore le concept de la diplomatie de l’hypocrisie

Articles similaires