
Les lecteurs se sont rendus compte qu’ils n’avaient pas besoin de débourser les dirhams de rigueur pour se tenir informés de l’évolution du monde.
La presse nationale a mauvaise presse. Jeu de mot à part, notre secteur ne se porte plus très bien. Comme l’Égypte au temps du prophète Moïse, les plaies s’accablent sur nous par douzaines, au point que nous ne savons même plus où donner de la tête. Ici, à en croire l’association Reporters sans frontières, c’est la liberté qui nous manque (133ème sur 180, il faut le faire).
Là, c’est nos argentiers qui s’acharnent: les moins téméraires d’entre nous ont depuis belle lurette mis la clé sous le paillasson. Entre les deux, le lectorat ne cesse de nous faire défaut. En sommesnous responsables? Il n’y a pas très longtemps, une consoeur me racontait l’anecdote suivante: arrêtée pour je ne sais quelle infraction routière, elle dut répondre à la classique question relative à son métier. “Journaliste”, plaidait-elle, redoutant en même temps de se voir contrainte de commenter le blocage gouvernemental, le sort de nos frères musulmans en Birmanie ou encore le sauvetage des dauphins roses de l’Amazone: il n’en fut rien. “Vous devriez changer de métier”, lui conseilla le policier, sans doute décidé à être éclairé ce jour-là.
Et d’ajouter: “De toute façon, plus personne ne vous lit. Maintenant, on a les smartphones. On est informé en temps et en heure. A quoi ça sert encore de vous acheter?” Voilà bien un diagnostic auquel ne manquerait pas de se résoudre le dernier des FMEJistes (pour Fédération marocaine des éditeurs de journaux, le patronat journalistique).
Sans avoir à contrevenir au code de la route pour le comprendre, les lecteurs se sont depuis assez longtemps rendus compte qu’ils n’avaient effectivement pas besoin de débourser les dirhams de rigueur pour se tenir informés de l’évolution du monde. Nous qui nous considérions depuis l’écrivain Albert Camus comme les historiens du temps présent sommes obligés de nous rendre à l’évidence: nous sommes en train d’être balayés d’un revers de clic par les réseaux sociaux.
Bien plus que le présent, le web 2.0 est lui, en effet, dans l’immédiat. Imbattable? Voire. Il ne s’agit pas ici de ressortir la sempiternelle litanie sur l’importance de la presse dans un pays qui se veut démocratique, mais il y a à signaler que nous manquons réellement de soutien: entre de maigres subsides au titre d’aide à la presse et un quasi total assujettissement aux annonceurs, beaucoup se retrouvent à se donner au plus offrant. Et encore.
L’hebdomadaire Attajdid tirait les rideaux en mars 2017 après avoir été lâché par les fils de pub: il avait fini de payer sa proximité avec le Parti de la justice et du développement (PJD), en mauvaise odeur de sainteté par les temps qui courent (lire n°1204, du 31 mars au 5 avril 2017).
Même les principaux concernés accablent la profession: le secrétaire général du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), Abdallah Bekkali, déclarait ainsi en novembre 2016 que “la presse marocaine ne peut interviewer le Roi car elle est incompétente” (Mohammed VI venait d’accorder un entretien à plusieurs titres malgaches). Que laisser à dire alors aux lecteurs? Peut-être que nous devrions finalement vraiment commencer à envisager de virer notre cuti. Ma consoeur, elle, ne manque plus de me rappeler le conseil du policier