Le syndrome Benkirane

Mustapha Sehimi

Que pourra bien entreprendre l’équipe El Othmani? Se projeter dans l’avenir et bien identifier des priorités au lieu d’un catalogue de 120 mesures.

C’est fait! Le Chef du gouvernement a enfin présenté, lundi 11 septembre 2017, le bilan des quatre mois écoulés, “120 jours, 120 mesures”. Comment évaluer le document d’une centaine de pages présenté à cette occasion? Ce cabinet avait grandement besoin de dresser un rapport d’étape tant la situation actuelle peine à trouver des repères cohérents et lisibles. Nommé le 5 avril 2017, investi le 26 du même mois par la Chambre des représentants sur la base d’un programme, il a eu fort à faire depuis. Confronté aux évènements d’Al Hoceima, il a eu bien des difficultés à y faire face.

Durant plus de trois mois, la mise en chantier du programme de ce gouvernement était pratiquement en “mode veille”, d’autant plus que la loi de finances pour 2017 n’a été promulguée que le 9 juin. La remise en selle a évidemment pâti de cet agenda contraignant. Elle a été ensuite fortement bousculée par le discours du Trône de S.M. le Roi le 29 juillet 2017. L’état des lieux dressé par le Souverain à cette occasion a été sévère en pointant du doigt les insuffisances d’une gouvernance des politiques publiques, l’action gouvernementale y occupant une bonne place. D’où l’activation du cabinet dans les semaines qui ont suivi pour traduire concrètement les orientations royales. Il n’était plus tellement question de faire référence au programme adopté à la fin avril devant le parlement mais de préparer fébrilement un plan présenté aujourd’hui comme un bilan articulé autour de 120 mesures.

Un bilan? Un bilan de quoi? L’examen du document présenté par le Chef du gouvernement pose en effet problème à cet égard. Qu’y trouve-t-on? Plusieurs lots: l’un sur des programmes et des projets en cours déjà inscrits lors des précédents exercices annuels; l’autre sur des textes encore en instance depuis la nouvelle Constitution de juillet 2011; enfin, un dernier relatif à des mesures ponctuelles. Un “montage” donc qui n’est pas de nature, semble-t-il, à activer un nouvel élan tellement nécessaire à un cabinet en difficulté depuis sa nomination.

Cela dit, que pourra bien entreprendre l’équipe El Othmani? Est-elle vraiment en mesure et en capacité d’imprimer une nouvelle méthodologie à son action éligible à une autre gouvernance et ce conformément aux prescriptions du discours du Trône?

Sur des dossiers lourds et complexes – décompensation, flexibilité du dirham, lutte contre la corruption, fiscalité, dialogue social, compétitivité de l’appareil de production…- aucun agenda précis n’a été donné, encore moins le séquençage de toutes ces réformes, renvoyées à 2019 et même au-delà. Il y a des intentions de bons sentiments mâtinés d’une rhétorique se volant réformatrice et volontariste –une figure convenue d’un certain discours gouvernemental qui n’est plus audible et qui a conduit à une décrédibilisation du politique et de l’institutionnel aux yeux du citoyen.

Le fonctionnement de ce gouvernement pourra-t-il être mis à plat? Des secrétaires d’Etat sont encore en “chômage technique”; les seuls départements qui fonctionnent sont ceux où leurs titulaires s’inscrivent dans une ligne et une stratégie validée et appuyée par le Roi (Éducation nationale, Énergie, Industrie, Agriculture); dans les autres secteurs, prévaut l’administration… Enfin, la question de la solidarité au sein de ce cabinet n’est pas réglée, le pacte de la majorité demeurant –encore?– en instance. Un sursaut est-il possible dans tous les secteurs, dont, notamment, celui de la régionalisation avancée, qui marque le pas et dont les événements d’Al Hoceima ont établi l’échec? Bilan, disent-ils? Des pistes seulement, en attendant les grands boulevards des réformes en attente !

Peut-être ce cabinet devrait-il se libérer de ce que l’on pourrait appeler le syndrome Benkirane, encore vivace: ne plus s’échiner à dire qu’il fait mieux que l’ancien Chef du gouvernement, se projeter dans l’avenir et bien identifier des priorités au lieu d’un catalogue de 120 mesures, démultiplier enfin les orientations royales qui constituent un acte fondateur d’une nouvelle gouvernance. En somme, retourner à la politique comme ambition au service d’un projet allant au-devant des besoins, des attentes et des aspirations des citoyens

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