Le chef du gouvernement rare dans les médias: le silence d’Akhannouch


Dans le fond, peut-être que M. Akhannouch a raison. Peut-être qu’il vaut mieux ne pas céder au verbiage, dont un des prédécesseurs à la tête de l’Exécutif a fini par payer les pots cassés.

Ce n’est peut-être finalement pas un hasard si l’époque où Aziz Akhannouch a joui de la réputation la meilleure auprès des Marocains date d’avant son élection à la présidence du parti du Rassemblement national des indépendants (RNI) en octobre 2016. Pour de nombreux de nos concitoyens parmi ceux qui le connaissaient, c’était, certes, un ministre de l’Agriculture plutôt rare dans les médias, en dépit du paradoxe de détenir un des plus importants groupes de presse du Royaume, en l’occurrence Caractères, mais dont les résultats, avec notamment le Plan Maroc vert (PMV) dont il avait procédé à partir d’avril 2008 à la mise en œuvre, parlaient suffisamment pour lui pour qu’on ne lui demande pas de prendre lui-même la parole.

Désigné en septembre 2021 Chef du gouvernement après la première place du RNI aux législatives du même mois, l’intéressé n’a tout compte fait pas tellement changé: en maintenant un peu plus d’un an après sa prise de fonction officielle, ce n’est qu’une maigre interview qu’il a accordée, si ce n’est en fait, sans doute, concédée, et ce le 19 janvier 2022 à la radiotélévision publique. Ce dont, à l’occasion de l’Université d’été de la jeunesse du RNI tenue les 9 et 10 septembre 2021 dans la ville d’Agadir, il se targuait même. «Je ne suis pas de ceux qui aiment trop parler avant d’agir. Je préfère travailler d’abord, puis m’exprimer sur ce qui a été véritablement réalisé,» a-t-il notamment clamé.


Dans le fond, peut-être que M. Akhannouch a raison. Peut-être qu’il vaut mieux ne pas céder au verbiage, dont un des prédécesseurs à la tête de l’Exécutif, à savoir l’actuel secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD), Abdelilah Benkirane, a, soit dit en passant, fini par payer les pots cassés en étant aujourd’hui aussi vomi qu’il était, lors de sa parenthèse gouvernementale de près de cinq ans, porté aux nues -comme l’illustrent les défaites successives de la formation islamiste aux différentes élections partielles tenues depuis son retour aux affaires en octobre 2021. Mais la nature ayant, in fine, horreur du vide, celui-ci finit nécessairement toujours par être comblé; et pas toujours dans le sens que les concernés espèrent.

Dans le jargon des spin doctors dont on sait que M. Akhannouch aime bien s’entourer, on dirait tout simplement qu’on ne peut pas ne pas communiquer: même quand on s’y terre, le silence lui-même donne matière à interprétation. Du temps où il n’était que simple ministre, M. Akhannouch avait indéniablement réussi à jouer d’une réserve que ceux qui le côtoient de près disent également être sienne dans le privé; en tant que chef de parti puis deuxième personnalité de l’État, la paire de manches est fatalement différente et, à l’évidence, épineuse. Ce qui ne devrait, rétrospectivement, pas tout-à-fait surprendre: dans le cadre purement technocratique dans lequel opère par exemple le ministère de l’Agriculture, il n’est effectivement nullement besoin d’en dire plus sur ce que tout un chacun peut lui-même apprécier de visu comme, littéralement, fruits recueillis; à travers le politique, on entre plutôt dans le monde de l’imaginaire, celui des cœurs, au point que s’écarter de toute rationalité devient la règle, qu’une absurdité même, comme disait Napoléon, ne soit plus un obstacle (le fameux “art du possible” comme on le désigne aussi souvent).

En d’autres termes, M. Akhannouch fait-il rêver? Peut-être qu’un jour, lorsque on s’y replongera, on dira que son gouvernement fut un des meilleurs de l’histoire du Maroc -comme certains en arrivent d’ores et déjà à le dire de celui de Saâd Eddine El Othmani, qu’on ne peut pour le moins également pas taxer de personnage haut en couleur- mais dans le temps présent en tout cas ce n’est certainement pas ce que le commun des citoyens doit penser. Bien sûr, d’aucuns y opposeront, à commencer par M. Akhannouch lui-même comme il l’a fait à Agadir, que ce serait le premier pas vers un populisme de bien mauvais aloi, mais celui-ci n’est, en dernière analyse, pas tout-à-fait l’exact contraire de la retenue. Les degrés qui, d’un bout à l’autre, séparent les deux sont, en vérité, infinis. Souvent décrit, certes avec une certaine aigreur mais pas foncièrement à tort, par M. Benkirane comme n’étant pas un homme politique -l’ancien Chef du gouvernement lui en veut pour son éviction-, M. Akhannouch se doit à coup sûr de refaire ses gammes, et ce autant pour son propre bien que celui du Maroc: en ces temps de défiance à l’égard de nombreuses institutions nationales, dont la gouvernementale, le moins que l’on puisse dire est qu’une majorité impopulaire n’est pas ce qui va faire pièce au nihilisme. Indépendamment de “ce qui a été véritablement réalisé”.

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