
Réforme. Le refoulement des migrants subsahariens escaladant les barrières de Sebta et Mélilia a été légalisé par l’Espagne. Un amendement de la législation espagnole qui consacre le Maroc dans le rôle de gendarme de l’Europe.
L’image est habituelle: un Subsaharien, après avoir réussi à escalader la clôture de Mélilia, entre en collision sur le territoire espagnol avec les agents de la Garde civile. Ceux-ci l’interceptent et le renvoient au Maroc. Cette action, longtemps décriée par les ONG internationales, était illégale avant l’amendement de la loi espagnole sur la sécurité publique, entré en vigueur le 1er avril 2015.
Il s’agit d’un nouvel article de loi qui donne le droit aux forces de l’ordre d’expulser les sans-papiers qui tentent d’escalader la barrière séparant l’Espagne du Maroc, “à chaud”, avant même qu’ils aient pu déposer une demande d’asile. Rien de nouveau, mais la pratique a été légalisée.
Cette réforme a été longtemps décriée par des ONG comme Amnesty International, qui a dénoncé, dans un communiqué «un jour sombre pour l’Espagne»; ou le Haut commissariat aux réfugiés (HCR), organisme onusien. Ce qui les inquiète le plus, c’est que les expulsions, qui empêchent les personnes de faire appel de leur renvoi et d’exposer leur situation individuelle ou leur droit à l’asile, sont contraires à la législation européenne et aux conventions internationales. De nombreux réfugiés, syriens notamment, tentent de passer cette frontière pour fuir le conflit qui sévit dans leur pays. En 2013, 2.000 Syriens, dont 70% de femmes et d’enfants, sont ainsi entrés clandestinement dans les deux enclaves.
En plus, le HCR est préoccupé par le recours croissant à la violence à la frontière pour dissuader les migrants et les demandeurs d’asile d’entrer. Cette année, le nombre d’incidents violents signalés a connu une hausse conséquente.
Réglementer les retours illicites
L’amendement de la Loi sur la sécurité publique vise donc à réglementer les retours illicites que la Guardia Civil pratique depuis des années. Il a pour but de supprimer la référence “expulsions en groupe” (clairement irrégulière) en respectant les droits humains internationaux et la protection internationale. Un flou juridique qui profite à l’Espagne et qui lui fait éviter les sanctions de l’UE. L’introduction du respect des droits humains a fait suite aux réunions entre le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et le ministère de l’Intérieur espagnol. La Convention de Genève, la Convention européenne des droits de l’Homme, la Charte européenne des droits de l’Homme et la politique d’asile sont des réglementations internationales qui empêchent le retour collectif des immigrants sans identification, comme celui mené à Sebta et Mélilia pendant plus de 10 ans.
La question de l’immigration clandestine entre le Maroc et l’Espagne revient ainsi sur le devant de la scène. Aujourd’hui, les forces de l’ordre marocaines joueront un rôle beaucoup plus important. Ils seront le gendarme de l’Europe qui la protège d’un flux incontrôlé de migrants. D’ailleurs, l’amendement de la loi stipule que la politique de refoulement à la frontière a pour objectif de prévenir l’immigration illégale en Espagne.
La tragédie du 6 février
Le dernier point de cette disposition stipule que les demandes de protection internationale seront formalisées dans les endroits prévus à cet effet, soit aux postes frontaliers et seront traitées conformément aux dispositions de la législation sur la protection internationale.
Ce sont les bureaux d’asile créés par le ministère de l’Intérieur aux postes frontaliers de Sebta et Mélilia. Selon les données du HCR recueillies par Europa Press, dans le premier trimestre de l’année 2015 ont été recueillies mille demandes d’asile à Mélilia, et 110 à Sebta. Dans les deux cas, la quasi-totalité des demandes proviennent de citoyens syriens. Aucune demande des personnes d’origine subsaharienne.
Cette réforme de la loi sur les étrangers est justifiée, selon les autorités espagnoles, par la tragédie qui a eu lieu le 6 février 2014, lorsque 15 personnes sont mortes en essayant d’atteindre Sebta en nageant. Les 23 personnes qui ont réussi à atteindre le sol espagnol ont été livrées par la Garde civile au Maroc. Au milieu des critiques des ONG, des institutions -telles que le HCR, le Médiateur, la Commission européenne-, l’Espagne a décidé d’entreprendre cette réforme pour protéger les Forces armées.
Une zone de protection
Pour plusieurs acteurs associatifs oeuvrant dans le domaine de la migration et de l’asile, l’initiative espagnole reflète les politiques européennes actuelles qui visent principalement à maintenir les migrants et les demandeurs d’asile en dehors des frontières de l’UE. La Grande Bretagne était allée loin en 2003 dans cette vision, en proposant, la première, de concentrer les demandeurs d’asile arrivant sur le territoire européen vers une zone de protection et d’autoriser l’accès aux seules personnes reconnues en tant que réfugiés. Déjà, à cette époque, plusieurs zones avaient été envisagées. Parmi elles, le Maroc et le Zimbabwe avaient été désignés pour regrouper les Africains; la Turquie ou l’Iran pour les Irakiens; et le Nord de la Somalie pour regrouper les Somaliens.
Le choix est tombé donc sur le Maroc pour freiner la migration des Africains. Mais rien n’est gratuit. Le Royaume a eu, en échange, un accord approfondi avec l’Union européenne, sans oublier l’appui politique dans le conflit du Sahara.