Chiites et salafistes feront-ils bon ménage?
Intégration. Une personnalité chiite, Driss Hani, et deux autres salafistes, Abdelkrim Chadli et Abdelkrim Faouzi, viennent de se joindre au Mouvement démocratique et social (MDS), dans ce qui a été assimilé à une tentative d’intégration officielle dans le champ politique. Pour quel objectif ?
Mais que peut donc bien cacher le ralliement de trois figures e m b l é m a t i q u e s l’une du courant chiite au Maroc, Driss Hani, les deux autres du mouvement salafiste, Abdelkrim Chadli et Abdelkrim Faouzi, au Mouvement démocratique et social (MDS)? C’est la question que tout le monde se pose dans les milieux politiques nationaux, depuis que les trois personnalités ont annoncé, samedi 23 mai 2015, avoir rejoint le parti fondé en 1996 par Mahmoud Archane. Quoique ce ne soit pas là l’unique interrogation à poindre derrière ce ralliement inattendu, pour ne pas dire surprenant à bien des égards.
Il y d’abord, bien entendu, le fait que des personnalités de bords différents, sinon contradictoires, aient décidé de s’unir sous la même bannière. En effet, pas la peine d’être familier de la littérature salafiste ou chiite pour ne pas savoir la haine tenace que se vouent ces deux courants, fruit de plusieurs siècles de disputes, et même d’excommunications respectives, et qu’il semble pour le moins étrange, si ce n’est improbable que des personnalités issues de ces courants puissent désormais défendre les mêmes couleurs politiques. C’est le cas de figure qui semble pourtant se poser ici. «Driss Hani n’est, à ma connaissance, pas chiite», se défend M. Chadli, à qui nous avons posé la question. «S’il l’était, bien sûr que nous aurions refusé d’adhérer au MDS», explique-t-il.
Horizons différents
Pour M. Chadli, M. Hani est sunnite à l’image de l’ensemble des Marocains, bien que certains de ses ouvrages, qu’il dit avoir lus, et que les discussions qu’il dit avoir eues avec l’intéressé «trois ou quatre fois» les mois auparavant, puissent refléter en vérité un alignement pro-iranien, et consubstantiellement anti-occidental, plus spécifiquement anti-américain. «Mais c’est là la position de tous les Marocains de s’opposer à l’Occident et aux valeurs de l’Occident», poursuit M. Chadli. Nous aurions bien voulu pouvoir poser la question directement à M. Hani sur sa véritable appartenance religieuse mais celui-ci est demeuré injoignable tout au long des jours ayant fait suite à l’annonce de son ralliement.
Pour sa part, le secrétaire général du MDS, Abdessamad Archane, ne voit pas d’inconvénient à ce que des personnalités venues d’horizons différents, voire divergents, puissent travailler main dans la main au sein de la même formation politique. «Le MDS s’est toujours distingué par son caractère centriste, libéral, et nous nous sommes toujours posés en défenseurs de la différence et du respect des valeurs de l’autre tant que celles-ci n’entraient pas en contradiction avec les constantes multiséculaires de la nation marocaine», nous déclare M. Archane. S’il reconnaît que l’une des «forces» de son parti a toujours été son «homogénéité», il ajoute que tant que les valeurs du MDS seront respectées par tous, rien ne pourra venir mettre un coup d’arrêt à cette homogénéité.
Pourquoi le MDS?
La deuxième question à se poser, si ce n’est la première à avoir fusé dès lors que l’annonce du ralliement a été officialisée, est pourquoi le MDS? La formation du palmier demeure respectée, avec à la tête de son conseil de la présidence Mahmoud Archane. Mais, nous explique M. Abdessamad Archane, c’est la personnalité «consensuelle» de son père qui a fini de convaincre les salafistes de rallier le MDS.
D’après nos informations, les négociations auraient débuté près de quatre mois auparavant. Abdessamad Archane nous explique que l’initiative n’est venue d’aucune partie en particulier et que «les choses se sont faites naturellement». «Tout le monde avait envie de travailler avec tout le monde», détaille-t-il. M. Hani aurait été le premier à donner son accord à rejoindre le MDS. M. Chadli n’aurait accepté que par la suite. Tandis que s’agissant de M. Faouzi, un ancien de la Chabiba Islamiya, les pourparlers auraient commencé quelques mois seulement après le retour de ce dernier au Maroc, lui qui vient de regagner la “mère patrie” après plusieurs décennies d’exil en 2013. Plus de 400 salafistes devraient se joindre prochainement au MDS d’après M. Chadli.
Le salafisme réinterrogé
«Il s’agit de 400 salafistes actuellement en prison pour des faits liés à leurs convictions salafistes et que nous avons convaincus de nous rejoindre une fois sortis de prison», nous explique ce dernier. «Ces personnes ont accepté de renoncer à la violence», témoigne M. Archane. «L’on ne peut continuer de les exclure en raison de leurs convictions passées. Il s’agit aujourd’hui de les intégrer au jeu politique, quitte à leur éviter qu’ils ne puissent recouvrer leurs anciens travers et sombrer de nouveau dans les discours haineux et hostiles à toute pratique religieuse qui ne soient pas en adéquation avec leurs standards».
Après les avoir combattus de longues années durant dans la foulée du tour de vis sécuritaire opéré à la suite des attentats du 16 mai, l’Etat a ces dernières années multiplié les signes d’ouverture à l’endroit des salafistes. D’abord à travers la grâce dont plusieurs d’entre eux avaient bénéficié en 2011, dont M. Chadli; et ensuite, le concept de salafisme est lui-même en train d’être réinterrogé, pour reprendre sa place dans l’imaginaire sunnite malékite marocain.