
Ils voulaient en faire un parti comme les autres. Ils ont fait pire. Jamais un ministre d’un autre parti n’avait «été démissionné» pour une histoire de moeurs. L’affaire Choubani-Benkhaldoun est, du moins officiellement, une première. Elle met un point d’évidence sur la nature foncière du Parti de la justice et du développement (PJD): un parti qui se veut islamiste mais qui, finalement, connaît les mêmes vicissitudes que n’importe quel autre parti. La question se pose: le PJD est-il toujours islamiste? D’aucuns en doutent. Au PJD, l’identité islamiste n’est plus mise en avant. «L’islamisme fait toujours partie de nos références», d’après Abdelali Hami-eddine, membre du secrétariat général du PJD.
«Mais c’est au même titre que les autres partis. Aucun ne peut faire abstraction de la religion musulmane. Dire que le PJD est islamiste prête à confusion ». Pourtant, quand il était dans l’opposition, le PJD avait lui-même entretenu, de l’aveu de M. Hamieddine, la confusion, à considérer qu’il ne s’agit que d’une confusion. Le PJD et le Mouvement de l’unicité et de la réforme (MUR), mouvement de prédication dont est issu le parti, ont longtemps semblé faire corps. M. Hami-eddine le reconnaît. «La séparation entre le PJD et le MUR n’a pas été mécanique», d’après lui. «Mais, depuis l’adoption de l’option de la “transition démocratique”, au VIe congrès du PJD en 2008, la différence s’est marquée». Le PJD s’est-il transformé depuis son accession au gouvernement, en 2011? «On peut poser la question pour tous les autres partis», d’après Mohammed Tozy, spécialiste de l’islam politique et auteur de plusieurs publications à ce sujet. «Il y a, d’évidence, une différence entre un parti au gouvernement et un autre d’opposition».
Le PJD se serait-il brûlé les ailes à l’instar d’autres partis ayant, après des années d’opposition, accédé au gouvernement? L’Union socialiste des forces populaires (USFP), au gouvernement de 1998 à 2007, pose un cas. La formation de la rose semble loin de pouvoir remporter le même nombre de sièges qu’aux élections législatives de 1997. Il n’est plus que le cinquième parti de la chambre des représentants, chambre basse du parlement. Les scissions se multiplient.
Un sort que risque de connaître le PJD. Sa direction semble s’éloigner de sa base à mesure qu’elle s’accoutume au pouvoir. Un précédent existe avec le «salafiste» Parti de la renaissance et de la vertu (PRV), résultat d’une scission en 2005. Mais il y a également les tensions avec le MUR. Le ministre d’Etat Abdellah Baha assurait, dit-on, l’équilibre. Il est décédé en décembre 2014, dans un accident de train à Bouznika. Si les premiers mois au gouvernement le PJD avait tant bien que mal cherché à appliquer le programme sur la base duquel il a terminé premier aux législatives de 2011, la réalité du pouvoir semble l’avoir changé.
Le chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, a souvent fait référence au Roi, dont il dit être aux ordres. C’était d’ailleurs là l’objet des griefs de l’opposition, dont les leaders ont rencontré, en mars 2015, les conseillers du Souverain Fouad Ali El Himma et Abdellatif Menouni pour se plaindre, avait révélé M. Lachgar, de la récupération que M. Benkirane faisait de la personne du roi Mohammed VI. Le PJD n’a, bien sûr, pas complètement rompu. Mais il semble avoir plié. Il semble encore attaché, sans doute plus que d’autres partis, à l’islam. L’avant-projet de code pénal mis en ligne par le ministère de la Justice et de la Libertés, début avril 2015, en est l’un des derniers exemples. Plusieurs organisations non-gouvernementales (ONG) ont fustigé les inclinations qu’ils qualifient d’«islamistes» du texte. Mais, sur d’autres chantiers, il semble prêt à renoncer. Quitte à contrevenir aux «références religieuses » du PJD. C’est ce qu’avait déclaré M. Benkirane à notre confrère Ridouane Erramdani dans une interview, en mars 2015, à «Med Radio». Références religieuses islamistes, bien sûr.