Mohamed Bouchikhi, chercheur membre du Centre marocain des études et recherches
Maroc Hebdo: Vous soulignez dans votre rapport que la vague chiite au Maroc inquiète les responsables sécuritaires au Maroc. Pourquoi?
Mohamed Bouchikhi: Le chiisme est fort inquiétant pour les responsables marocains pour, d’une part, les tendances révolutionnaires de la pensée chiite. Inquiétant d’autre part pour les liens que les chiites marocains pourraient tisser directement avec l’Iran ou indirectement à travers les références religieuses étrangères, vu que ces dernières sont favorables au projet iranien et même traversées par les services iraniens. Il ne faut pas aussi négliger le risque de sectarisme dont aucun pays multicommunautaire n’est à l’abri.
Est-ce que les chiites marocains s’affichent ou préfèrent-ils vivre cachés?
Mohamed Bouchikhi: Certes, personne ne veut vivre dans la clandestinité même si elle est justifiée par la norme de «taqiya» dans la jurisprudence chiite. Mais les chiites marocains ne partagent pas la même vision sur la façon d’agir dans la société marocaine. Et s’il y a plusieurs d’entre eux qui ont décidé depuis des années à dévoiler leur identité religieuse après avoir été convaincus que la clandestinité ne joue plus en leur faveur, il y en a d’autres qui n’ont pas encore trouvé le moment propice pour annoncer leur choix doctrinale.
Y a-t-il des Marocains qui se reconvertissent au chiisme? Comment se fait la conversion?
Mohamed Bouchikhi: La conversion passe essentiellement –sauf quelques rares exceptions-, par trois étapes: Au début, la personne concernée se trouve portée par un discours bien argumenté sur la souffrance des descendants du Prophète soutenu par des passages bien précises puisés dans les références sunnites pour donner plus de crédit à la version chiite des faits. L’étape suivante consiste à convaincre la personne que l’«imamat» revient de droit à sidna Ali et, après lui, à ses onze descendants. Puis, la troisième étape qui bascule la personne complétement dans le chiisme concerne le dogme surtout l’infaillibilité des onze imams ainsi que la croyance dans l’occultation du douzième imam et qu’il sera de retour avant la fin du monde.
Les chiites marocains obéissent-ils à la même hiérarchie que les chiites libanais ou iraniens?
Mohamed Bouchikhi: Les chiites dans les pays de l’Orient donnent «al khomos» à leurs références religieuses. Ce n’est pas encore le cas de leurs homologues marocains. La majorité de ces derniers n’ont pas de référence précise, et il y a parmi eux qui ne lui donnent aucune importance. Pour les références, il y a au moins quatre au Maroc: Khaminei, Fadlallah, Sistani et Chirazi.
Avez-vous des informations sur leur nombre et les villes où ils trouvent en masse?
Mohamed Bouchikhi: Difficile de déterminer leur nombre pour deux raisons. D’abord, la clandestinité dans laquelle se plongent une partie d’entre eux, mais aussi à cause des trois étapes de la conversion détaillées précédemment. Je m’explique. Les chiites marocains sont présents dans les grandes et moyennes villes par dizaines parfois, surtout à Tanger et Casablanca, mais leur nombre n’est pas si important pour qu’ils se permettent de manifester leur présence de manière institutionnalisée.