
Avec la mise en place du Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ), c’est une étape particulière qui vient d’être franchie dans la lutte antiterroriste.
Avant, dans une autre vie pourraiton dire, la lutte contre les menées déstabilisatrices et subversives était bien appréhendée. L’appareil sécuritaire savait contre qui lutter tant au dedans qu’au dehors. C’était la branche “activiste” de l’UNFP sous la houlette, notamment, du fqih Mohamed Basri et de quelques autres, et c’était aussi ses soutiens en Libye et en Algérie. Les formes d’action étaient clairement identifiées et elles ont fini par être neutralisées au lendemain des événements de Moulay Bouazza, dans le Moyen-Atlas, en mars 1973.
Mais aujourd’hui qu’en est-il? La subversion a changé de nature et de dimension derrière le paravent du jihadisme. Que s’est-il passé? C’est qu’en effet la mouvance islamiste radicale a opté pour le terrorisme et elle s’inscrit dans le prolongement et la sous-traitance de parrains étrangers se réclamant d’un “nouvel ordre” se proposant de mettre à bas des régimes allant de l’Atlantique à l’Afghanistan.
Un système ébranlé
La menace n’est pas seulement marocaine, locale donc, elle pèse sur la plupart des pays de ce vaste espace géoculturel et ce suivant des modalités particulières à chacun d’entre eux. Nous en sommes là et c’est pourquoi l’opérationnalité et l’efficience de la lutte antiterroriste au Maroc retient l’intérêt de nombreuses chancelleries régionales et internationales.
Au lendemain des attentats du 16 mai 2003 à Casablanca, c’est tout le système sécuritaire en place qui a été ébranlé. Pratiquement, il se doutait bien de quelque chose qui allait –ou qui pouvait– arriver mais pas d’une telle tragédie. Des actes commis au nom d’un islamisme primaire relayant localement Al Qaïda.
Une approche managériale
Il a fallu en tirer leçons en termes politiques mais aussi sécuritaires. C’est ce processus qui a été ainsi mis en branle depuis une bonne dizaine d’années et qui a conduit à se doter des moyens appropriés en vu d’une fin tout aussi précisée: la mobilisation dans la lutte antiterroriste. Un chantier toujours à l’ordre du jour axé aussi sur la coordination et l’adaptation à des réalités sans cesse changeantes dans un contexte international fortement secoué par tant de convulsions, notamment dans l’espace régional. Avec la mise en place d’une nouvelle structure comme le Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ), dont les locaux ont été inaugurés le vendredi 20 mars 2015 à Salé, c’est une étape particulière qui vient d’être marquée dans ce processus. Cet organe vient ainsi s’ajouter et s’intégrer au dispositif sécuritaire existant. Il est la traduction d’une approche qui se veut désormais plus managériale. Dans quel sens? Celui de l’adaptation à de nouvelles formes de lutte contre des modes particuliers de criminalité. Des textes répriment bien des crimes et des délits: banditisme, trafic de stupéfiants, trafic d’armes et d’explosifs, terrorisme, atteinte à la sûreté de l’État... Les sanctions ont même été renforcées pour ce qui est de la qualification criminelle de terroriste en élargissant leur champ aux complices et même à certains préparatifs sans commencement d’exécution.
Elles ont également retenu l’entreprise individuelle terroriste permettant ainsi d’incriminer ce que l’on appelle les “loups solitaires”. Et si la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) faisait le “job”, il lui manquait sans doute de se doter d’un outil performant.
D’où le fait que le BCIJ se voit doter de grands moyens: des ressources humaines et spécialisées dans des domaines très pointus; un équipement logistique et informatique avec des technologies les plus avancées; enfin, une centralisation dans des locaux spécialement dédiés à sa mission.
Mais il y a plus. Référence est faite au contrôle et à la tutelle qui seront exercés sur ce nouveau maillon de la chaîne sécuritaire. Il relève de la DGST mais il est placé, en tant que police judiciaire, sous l’autorité du ministère public, c’est-à-dire le Parquet général, et des juges d’instruction. Il s’agit là d’une avancée qui a été déjà consacrée par les dispositions de l’article 128 de la Constitution de 2011.
Respect de la légalité
Dans cette même ligne, il faut rappeler qu’aux termes d’un amendement qui a été apporté au code de procédure pénale par le Parlement, le 17 octobre 2011, le statut d’officier de police judiciaire (OPJ) a été octroyé aux agents de la DGST alors qu’une situation “grise” perdurait à cet égard depuis la création de cette direction en 1973.
C’est aussi cela l’État de droit! Ceux qui sont investis d’une autorité publique doivent exercer leur mission sur la base du respect de la légalité et, partant, de celui des droits et libertés des citoyens. Il restera sans doute au Parquet général, à son tour, à veiller strictement à la bonne application de ces textes. Et quelles que soient les menaces pouvant peser sur la sécurité, le principe constant qui devrait prévaloir en tout état de cause ne saurait accuser des violations ou des atteintes.
Terrorisme mutant
Abdellatif Hammouchi, Mustapha Ramid, Mohamed Hassad et Bouchaïb Rmail.
Un nouveau logiciel de lutte antiterroriste? Assurément. L’on n’a pas affaire à une menace clairement formatée, dûment localisée à une adresse, avec un fichier suivi par l’appareil de renseignement traditionnel. Il s’agit en effet d’autre chose: un terrorisme mutant sans cesse. Ses effectifs sont variables et pas vraiment stabilisés, ses connexions locales et internationales changeantes, même si certains paramètres de “traçabilité” peuvent se recouper, ses méthodes d’embrigadement se sont également transformées ces dernières années et plus encore avec la contraction et l’affaissement d’Aqmi et l’irruption de l’organisation de l’État islamique, plus connue sous l’acronyme Daech.
Cela dit, comment se présente le marché terroriste au Maroc? Quelles sont sa nature et sa dimension? Ce que l’on sait, c’est son profil à l’export avec aujourd’hui 1.354 jihadistes recensés, soit une bonne centaine de plus par rapport au chiffre donné, le 30 septembre 2014, par Mohamed Yassine Mansouri, patron de la DGED, lors d’une réunion spéciale du Conseil de sécurité à New York. Quelque cinq cents d’entre eux, en Syrie et en Irak, attendent leur retour au Maroc où sont déjà identifiés 156 d’entre eux. Il faut encore préciser que l’on dénombre 185 femmes et 135 enfants.
La panoplie de leurs formes d’action couvre un large spectre allant d’un poison dangereux à des attentats avec des explosifs, sans parler d’homicides perpétrés avec des armes à feu.
Il n’ont qu’un objectif: celui de semer la terreur et d’installer une psychose générale. Une situation qu’ils entendent optimiser pour nourrir un climat de violence et de barbarie de nature à porter atteinte à la stabilité et à la sécurité. Ils veulent pratiquement délégitimer l’“ordre” social et politique.
Psychose générale
Il est vrai que le risque zéro n’existe nulle part dans le monde et l’on a vu que les démocraties les plus apaisées, telles celles des pays nordiques par exemple, n’y échappent pas. Mais, au Maroc, par-delà l’efficacité du dispositif sécuritaire, c’est aussi un corps social qui fait rempart. Un challenge qui ne pourra qu’être remporté par une construction démocratique en marche et qui est tenue de se fortifier non pas dans un climat aseptisé mais dans un contexte d’épreuve.