Lancement, le 8 novembre 2017, du satellite Mohammed VI-A


Tout sur le satellite espion du Maroc


Après le lancement du premier satellite marocain, un deuxième est prévu pour l’année 2018. Les deux placés sur la même orbite à 694km d’altitude, peuvent photographier n’importe quel endroit de la terre tout au long de la journée.

À partir du 8 novembre 2017, un petit bout de Maroc commencera à flotter dans le ciel. Baptisé Mohammed VI-A, du nom du Souverain, il s’agit en fait d’un satellite de reconnaissance -ou “espion”, comme d’aucuns l’appellent également-, le premier du genre que lancera le Royaume dans son histoire. C’est le site web spécialisé Space Flight Now qui, dès le 2 août, avait vendu la mèche. Ce dernier, dans un article consacré au lancement de deux satellites italien et franco-israélien à Kourou en Guyane française (en Amérique du Sud) par une fusée Vega, avait annoncé que celle-ci mettrait en orbite au même endroit le Mohammed VI-A (sans le nommer ainsi) «pas plus tard que le 7 novembre».

Réception et contrôle des images
Le média algérien MENA Defense était, lui, dans un article du 28 août, beaucoup plus précis, en affirmant sur la base d’une photo satellite que le Maroc avait d’ores et déjà mis en place une station de réception et de contrôle des images à l’est de l’aéroport de Rabat-Salé (la photo satellite montrait notamment des antennes à bandes X et S, nécessaires à de telles opérations). L’information était dès lors massivement reprise par les autres médias, notamment nationaux, d’autant plus qu’elle faisait écho à d’anciennes révélations de l’hebdomadaire français La Tribune, qui en février 2014 déjà avait fait la lumière sur l’acquisition par le Maroc en 2013 de deux satellites d’observation français de type Pléiades, nommément citées par Space Flight Now et MENA Defense (le marché aurait très exactement été passé lors de la visite qu’avait effectuée en avril 2013 le président français François Hollande à Casablanca et Rabat).

Un fleuron européen
Un achat qui, affirmait le journal, aurait coûté «un peu plus» de 500 millions d’euros, et avait alors placé le Royaume sur la troisième marche du podium en matière d’achat d’armement français (seulement derrière l’Arabie saoudite et Singapour). «Ces satellites d’observation pourront répondre aux besoins civils et militaires et peuvent prendre des images d’une résolution de 50 Cm,» précisait pour sa part, toujours le 28 août, MENA Defense.

Pour ceux qui n’y connaissent rien en satellites, Pléiades fait indéniablement partie du fleuron de l’industrie spatiale (et militaire) européenne. Mis au point par le Centre national d’études spatiales (CNES) français en partenariat avec Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space (son développement a nécessité plus de dix ans de travail, jusqu’au lancement du premier satellite le 17 décembre 2011), il s’agit plus précisément d’un système d’imagerie spatiale à très haute résolution. «Il peut (...) suivre l’expansion des grands centres urbains, (...) surveiller l’activité des grands volcans de la planète ou (...) aider à l’élaboration des tracés routiers et ferrés,» précise notamment le CNES sur son site officiel. Mais Pléiades peut tout aussi bien servir à localiser les installations militaires de pays «adverses», ajoute la même source. Pour ce faire, le système comprend deux satellites (Mohammed VI-A n’étant donc que le premier à être lancé), lesquels, placés sur la même orbite à 694 km d’altitude, peuvent photographier n’importe quel endroit de la terre dans les 24h.

Un avantage stratégique
Ces satellites sont, à cet égard, dotés d’un instrument d’optique pouvant tout aussi bien opérer dans le visible que dans le proche infrarouge, et dont le détecteur extrêmement sensible réduit le temps d’exposition nécessaire à l’obtention des clichés (le système permet ainsi de réaliser jusqu’à 1.000 images par jour).

«La constellation Pléiades est adaptée pour obtenir une information en un temps record,» se félicite pour sa part Airbus. Vraisemblablement, le contrôle et la réception des images devrait être opérés par le Centre royal de télédétection spatiale (CRTS) (la station citée par MENA Defense devrait donc dépendre d’elle). Si, au Maroc, la perspective du lancement du satellite a de quoi ravir (seuls l’Egypte et l’Afrique du Sud pouvaient jusqu’ici se prévaloir d’un tel outillage technologique dans tout le continent), c’est loin d’être le cas dans le voisinage. Et pour cause: Pléiades offre désormais un avantage stratégique au Royaume. Même l’Espagne, qui nous est pourtant bien supérieure militairement, s’en inquiète.

«Le Maroc est un pays ami, avec lequel nous maintenons une coopération très intense et fructueuse, indispensable pour stopper l’immigration clandestine ou prévenir les attentats terroristes, mais il n’est agréable que personne, pas même les amis les plus proches, mette le nez dans ta cuisine, avertissent notamment des stratèges militaires du voisin du nord dans les colonnes du quotidien El Pais (édition du 23 octobre). En outre, il existe une série de contentieux plus ou moins dormants qui recommandent de ne pas baisser la garde. Notre dissuasion a toujours été basée sur l’avantage technologique, mais si cet avantage est réduit, la dissuasion peut être diluée.»

Le frère ennemi algérien, lui, est à croire plusieurs médias du voisin de l’est déjà passé à l’offensive, puisque le renforcement de ses frontières auquel il procède actuellement (systèmes de contrôle technologiques, isolateurs en béton dotés de logiciels électroniques et de dispositifs de brouillage) participerait d’une réponse au Maroc à ce propos. «Ce a été dicté par des préoccupations sécuritaires coïncidant avec l’intention du ministère de la Défense marocain (sic) de lancer un satellite «espion»,» croit notamment savoir le quotidien El Bilad. Côté marocain, c’est pour l’instant encore le silence. L’armée notamment demeure fidèle à sa réputation de «grande muette». Toutefois, il ressort de commentaires que nous avons pu officieusement glaner que le Maroc serait en fait en train d’essuyer un procès d’intention. «L’objectif est d’abord civil, non pas militaire; autrement, pourquoi croyez-vous que c’est le CRTS qui s’en occupe,» réagit notamment un responsable.

“L’objectif est d’abord civil”
De fait, des documents que nous avons pu consulter font état de divers projets agriculturels et maritimes dans lesquels le CRTS est partie prenante, à l’instar de GERMA (suivi et analyse du phénomène d’upwelling -remontée d’eau-) et de FORMA (gestion de la forêt), tous deux cofinancés par l’Union européenne (UE), et auxquels le lancement de Mohammed VI-A et Mohammed VI-B (prévu pour 2018, sans encore de date plus précise) devrait apporter un développement fulgurant. Réduire par conséquent l’achat de Pléiades à une simple acquisition militaire serait bien se gourer.

«Le CNES, qui a développé le système, a d’abord une vocation scientifique, rappelle notre source. Et puis, imaginez-vous les Européens vouloir mettre en difficulté un des leurs, en l’occurrence l’Espagne? N’oubliez pas, qui plus est, que le gouvernement espagnol possède un pourcentage (4,18%, ndlr) dans Airbus, qui n’est autre que le maître d’oeuvres des satellites. » Toutefois, du moment qu’il possède le système, le Maroc ne devrait pas se priver de l’utiliser à des fins militaires, notamment pour contribuer à la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue et le trafic d’êtres humains dans la région, ce alors qu’il se pose comme le seul partenaire véritablement sérieux de la communauté internationale en la matière en Afrique du Nord-Ouest (il avait notamment été élu à l’unanimité, en mai 2015, à la coprésidence -aux côtés des Pays-Bas- du Forum global de lutte contre le terrorisme (GCTF)).

Plus près, cela lui permettra également de surveiller les mouvements à ses frontières, sachant par exemple que le sud algérien, contigu du Royaume, est complètement tombé dans l’escarcelle d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) d’après les révélations que nous avait faites en février 2016 le directeur du Bureau central d’investigations judiciaires (BCIJ), Abdelhak Khiame, sur la base de rapports documentés des services de contre-espionnage marocain (n°1154, du 26 février au 3 mars 2016).

Surveiller les frontières
Les éléments du Front Polisario, qui tentent depuis la fin de l’année dernière de réaliser des incursions en territoire marocain (entre autres à Guergarat, pour ne citer que le cas le plus flagrant), seront notamment suivis de près. Par ailleurs, et comme ils sont amenés à couvrir la totalité de la planète, Mohammed VI-A et Mohammed VI-B devraient également s’activer ailleurs, et notamment au Moyen-Orient, puisqu’il se dit dans les chancelleries de la région qu’un pays comme les Emirats arabes unis aurait sinon totalement, du moins partiellement financé leur achat. Ainsi, ils devraient à moyen terme être notamment utiles au Yémen, où les pays arabes mènent une coalition contre les terroristes houthies (ils s’ajouteraient alors au satellite EgyptSat 2). Rendez-vous est donc donné ce 8 novembre (à 2h42) pour le décollage de notre premier satellite...

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