L'amnistie fiscale est nécessaire


Défaillances en cascade d'entreprises


La dernière véritable amnistie fiscale remonte à 1998. La décréter se révèle aujourd’hui une nécessité au vu de la morosité économique, de la tendance haussière des défaillances des entreprises et du pessimisme qui s’empare des opérateurs économiques.

Vingt-et-un ans nous séparent de la dernière amnistie fiscale de 1998-1999 qui a eu des incidences positives sur l’économie marocaine notamment l’amélioration soutenue depuis des recettes de tous les impôts et taxes. Aujourd’hui, légion sont les voix qui s’élèvent pour demander une amnistie fiscale, une véritable amnistie qui balaye, totalement ou partiellement, les dettes fiscales des entreprises notamment les moyennes et les petites. Le besoin se fait sentir, lancinant: le taux de mortalité des entreprises inquiète car il s’inscrit depuis quelques années déjà dans une tendance haussière accélérée, le pessimisme s’empare des entrepreneurs, le taux de chômage s’accentue et le malaise social s’aggrave.

La clé sous le paillasson
Et c’est l’ancien ministre des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, actuel patron de la CGEM (Confédération générale des entreprises du Maroc), qui dénonce cette situation morose du pays. Dans un entretien exclusif accordé à Oxford Business Group (OBG), M. Mezouar tire la sonnette d’alarme: «Le fort taux de mortalité d’entreprises en 2017 est un signal d’alerte. Si l’on ne règle pas le problème rapidement, le reste n’a pas de sens… Il faut reconnaître un décalage entre les politiques publiques et les besoins actuels des entreprises. L’État doit prendre des engagements afin de maintenir un lien de crédibilité et d’autorité auprès des acteurs économiques».

Le problème récurrent des délais de paiement demeure au sommet des priorités de la CGEM, qui témoigne d’un fort taux de fermetures d’entreprises causées par l’assèchement des trésoreries en 2017, a souligné le patron des patrons deux mois seulement après avoir organisé sa première université d’été, un événement où de nombreux patrons ont pu présenter leurs doléances au gouvernement.

Les petites et moyennes entreprises doivent attendre 6, 9 ou 12 mois pour se voir payer. En l’absence de mouvements sur le compte bancaire, la banque refuse de leur accorder un crédit de fonctionnement connu sous le nom de facilité de caisse. Du coup, l’entrepreneur n’a d’autre solution que de mettre la clé sous le paillasson.

Les créances impayées, le manque de trésorerie, la crise économique ainsi que la baisse des activités, occupent la deuxième place des facteurs qui pèsent plus sur les entreprises. C’est la concurrence déloyale qui menace le plus les entreprises marocaines. En outre, dans le cas d’impayés, les procédures judiciaires sont responsables de la faillite d’un grand nombre d’entreprises, notamment les très petites, petites et moyennes.

Exécution des jugements
L’entreprise, après moult tentatives de recouvrement à l’amiable, se tourne vers la voie judiciaire. «D’après mon propre vécu et le vécu de patrons de PME, le procès est lent. Il faut attendre deux, trois, quatre ans, voire plus, pour que le jugement soit prononcé. Le pire, c’est l’exécution des jugements. Entre temps, la société meurt», a déclaré à Maroc Hebdo Khalid Benjelloun, patron de PME et actuellement vice-président de la CGEM.

Pour ce responsable, «le gouvernement peut initier un projet de loi qui fixe les délais des décisions de justice et des exécutions des jugements. Il faut absolument améliorer la justice des affaires car non seulement les entreprises en pâtissent avec comme conséquences fâcheuses des pertes d’emplois mais il faut savoir qu’aux yeux des investisseurs nationaux et étrangers, c’est le principal critère qui détermine leur décision d’investir».

Ce malaise est un ressenti et un vécu quotidien de la majorité écrasante des patrons. Récemment publié, le baromètre de conjoncture de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) pour le 3e trimestre 2018 met en lumière le profond pessimisme des chefs d’entreprise du Maroc quant à l’avenir économique du pays. Les patrons dépeignent un tableau de méfiance, un tableau noir.

Effectué auprès de 632 entreprises marocaines, réparties dans toutes les régions du Royaume, l’étude vise à mettre à disposition des chefs d’entreprises des données sur l’état de l’économie, le climat des affaires, les problématiques sectorielles mais aussi à relater le degré de confiance que les principaux concernés accordent aux évolutions présentes et futures de l’activité économique. Sur ce dernier point, le constat est déconcertant. Seulement 14% des dirigeants ont une opinion positive sur l’état actuel de l’économie nationale. Seul 1 dirigeant sur 5 pense qu’elle s’est améliorée au cours du trimestre précédent. Pour l’avenir, 39% seulement s’attendent à une amélioration de cette situation dans les 3 prochains mois. Et ce pessimisme touche essentiellement les plus grandes entreprises: seules 5% d’entre elles affichent un jugement positif sur la situation économique. Conséquences: 76% des entreprises marocaines n’ont pas l’intention de recruter dans les prochains mois. De quoi s’alarmer !

En termes de taille d’entreprise, les plus petites structures sont, sans surprise, celles qui jugent le plus négativement leurs trésorerie, rentabilité et commandes. Ce sont ces entreprises qui embauchent ou recrutent le plus. Les entreprises moyennes de taille proche de celle des grandes et les grandes entreprises, dont l’effectif atteint 51 à 200 employés, sont les plus satisfaites de ces aspects.

Ces indicateurs ont une répercussion négative sur le marché du travail. Au cours du dernier semestre, seules 16% des entreprises ont augmenté leurs effectifs, et moins d’une entreprise sur 4 envisage de recruter au cours du prochain trimestre. S’agissant des investissements, moins du tiers des entreprises ont réalisé des investissements au cours du 3e trimestre 2018, soit légèrement moins que le semestre précédent. Pour ce qui est des intentions d’investissement, 43% des entreprises envisagent d’investir durant les trois prochains mois, affichant, là encore, une légère baisse par rapport au 2e semestre.

Arriérés fiscaux
A tous ces problèmes le manque de visibilité des opérateurs économiques vient se greffer. Une situation qui appelle à une intervention rapide du gouvernement pour regagner la confiance des patrons et des investisseurs et épauler les petits et moyennes entreprises en essuyant, en partie ou en totalité, leurs arriérés fiscaux, à travers le décrétement d’une amnistie fiscale pour l’année en cours ou les deux dernières années.

Au vu de la conjoncture actuelle et de la politique fiscale actuelle du gouvernement visant à agrandir l’assiette des recettes fiscales, il est difficile d’imaginer que le cabinet El Othmani optera pour une telle décision. Mais l’histoire a montré qu’une amnistie fiscale permet de redresser l’économie et de renflouer les caisses de l’Etat après un passage à vide. Bien entendu, le visa d’une amnistie fiscale doit être conditionné par le respect d’un cahier de charges dont la transparence fiscale sera la clé de voûte.

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