Les autorités marocaines ont expulsé, le 20 septembre 2023 sur décision administrative, deux journalistes français, Quentin Müller et Thérèse Di Campo. De quoi jeter de l’huile sur le feu des tensions entre le Maroc et la France.
Il est trois heures du matin, ce mercredi 20 septembre, lorsque des éléments de police en civil débarquent à l’hôtel Novotel City Center de Casablanca. Leur mission? Appliquer la décision prise quelques heures plus tôt par l’autorité administrative, à savoir l’expulsion vers leur pays de deux journalistes français. Il s’agit de Quentin Müller, rédacteur en chef adjoint du service international de la revue française Marianne, et Thérèse Di Campo, photographe indépendante, tous les deux arrivés au Maroc cinq jours auparavant dans la foulée du séisme meurtrier du 8 septembre 2023 qui a attiré des centaines de journalistes étrangers venus couvrir la tragédie.
“Nous sommes restés quelques heures dans les locaux de la police judiciaire de l’aéroport, puis nous avons été amenés dans un avion de Royal air Maroc sans autre forme de procès”, a affirmé M.Müller à Marianne, des heures après son expulsion.
Réponse marocaine
La publication française a expliqué que les autorités marocaines avaient pris la décision d’expulsion car les deux reporters en question étaient présents au Royaume pour enquêter sur “la manière dont le peuple marocain voit le roi Mohammed VI”. Le reporter français avance même qu’il a pu rencontrer des “personnalités surveillées” au cours de son enquête, et qu’il comptait révéler des “informations inédites” sur la monarchie marocaine.
Pour sa part, le gouvernement marocain a déclaré, le 21 septembre 2023 par la voix de son porte-parole, Mustapha Baitas, que les journalistes français expulsés -il ne les a pas nommés- “s’étaient rendus au Maroc en tant que touristes et n’ont demandé aucune accréditation pour exercer leurs missions, ni indiqué qu’ils étaient des journalistes. Il est donc normal qu’ils soient expulsés, conformément à la loi et avec l’accord des autorités administratives.”
Des explications qui ne semblent pas convaincre du côté de Marianne. Au lendemain de la sortie du responsable marocain, sa rédaction a réagi par le biais d’un autre article signé par le rédacteur en chef de son service international, Stéphane Aubouard, dans lequel celui-ci n’hésite pas à attaquer le Maroc et les autorités marocaines dans un ton pour le moins violent et paternaliste. Il qualifie ainsi de “fallacieux” l’argument présenté par M. Baitas, en soulignant qu’”au Maroc, les journalistes étrangers en sont réduits à se passer d’une telle autorisation. Et ce pour travailler en toute indépendance au royaume de Mohammed VI.”
“Je peux vous assurer que sur les centaines de journalistes venus ces derniers jours pour couvrir les conséquences du séisme, bien peu devaient avoir une autorisation”, a, de son côté, indiqué Mme Di Campo, également citée par Marianne.
Pourtant, le gouvernement marocain avait bien précisé que des centaines de journalistes étrangers ont pu exercer leur métier en “toute liberté” durant la couverture du séisme, certains parmi eux ayant même produit des contenus “peu objectifs” à l’encontre du Royaume. «Pas moins de 312 journalistes étrangers, représentant 90 médias, se sont rendus au Maroc et ont pu voyager librement dans les zones touchées et échanger avec les populations sinistrées», a affirmé M. Baitas, ajoutant que parmi ces journalistes, «78 sont de nationalité française représentant 16 médias, dont 13 ont été accrédités pour la couverture de cet événement tragique.»
Enquête, vraiment?
Des éléments qui remettent en question la crédibilité des allégations des deux reporters français. Pourquoi étaient-ils les seuls à être expulsés? L’excuse de l’atteinte à la liberté d’exercer étant écartée au vu des preuves fournies par les autorités marocaines, il devient légitime de s’interroger sur les réelles intentions de M. Müller. Celui-ci prétend ainsi préparer une “enquête profonde” sur le roi du Maroc, après seulement cinq jours de présence sur place. “On est sûrs d’une chose, il ne maîtrise pas le sujet et il est par conséquent motivé par un désir de surfer sur les fantasmes d’une grande partie de la société française au sujet du Royaume, ainsi que sur les tensions actuelles entre les deux pays”, nous confie une source proche du dossier.
Au-delà de M. Müller lui-même, plusieurs questions se posent sur l’attitude adoptée par Marianne depuis l’éclatement de l’affaire. Dans sa réponse à la version officielle marocaine, elle a invoqué les cas de Soulaimane Raissouni et Taoufik Bouachrine, respectivement ancien journaliste et ancien directeur du quotidien marocain Akhbar Al-Youm, tous les deux condamnés et emprisonnés. Pourtant, ces derniers ont été reconnus coupables pour des faits de droits commun, notamment de mœurs, et non pas pour avoir exercé la profession de journaliste.