
La charge est lourde; difficile de ne pas l’assumer, par nature et par tempérament. Les seize ans de règne marquent, pèsent aussi, mais il faut persévérer sans relâche. Il a fallu prendre les choses en mains; la monarchie exécutive de 2001 à 2011 en a été l’une des séquences. Elle n’a pu prendre cette dimension et cette qualification que parce que d’autres acteurs n’ont pas assumé la plénitude de leurs attributions. Avec le “printemps arabe”, il a fallu une mise à plat de cette gouvernance; d’où la nouvelle Constitution. Prendre en charge les aspirations et les attentes et leur donner une réponse politique: voilà qui fonde et éclaire la loi suprême aujourd’hui en vigueur depuis quatre ans.
Des élections démocratiques ont suivi, le 25 novembre 2011, puis un nouveau cabinet dirigé par le leader d’une formation islamiste, dans l’opposition depuis une quinzaine d’années, Abdelilah Benkirane. Le cahier de charges est devenu plus astreignant dans la mesure où de grandes réformes s’imposaient à l’évidence dans tous les domaines de la vie économique et sociale, sans parler de celles d’ordre institutionnel et politique sur la consolidation de l’État de droit, la démocratie et les libertés. Du retard a été pris et ce faute d’un agenda législatif précis décliné autour de priorités et de séquences. Les deux premières années ne se sont point distinguées par un grand élan réformateur; tant s’en faut. Des difficultés au sein de la majorité, recomposée depuis octobre 2013 avec le retrait du Parti de l’Istiqlal, suppléé par le RNI, ont certainement freiné les ardeurs proclamées au départ.
Le Roi n’ignorait rien de ces insuffisances et il ne pouvait pas laisser les choses en l’état: il avait le devoir d’agir. Il l’a fait en mettant l’accent, à diverses occasions, sur la situation de secteurs éminents comme l’éducation, la justice; sans oublier à l’occasion de recadrer le gouvernement dès lors qu’il lui paraissait nécessaire d’intervenir sur les principes du pluralisme ou encore des valeurs. Arbitre-chef, il était aussi régulateur du fait de sa mission de garant du bon fonctionnement des institutions et de la préservation de la cohésion sociale. Dans le même temps, il était le recours de tous parce que tel est aussi un pan de son job tel que consacré par la Constitution. Dans son esprit, le souci de ne pas perdre de vue le cap est fondamental. S’il ne doit pas évacuer les “résistances” ni les corporatismes, son statut le distingue de celui de tous les autres acteurs: hiérarchiquement d’abord, politiquement aussi en ce sens qu’il n’est soumis à aucun agenda électoral et que, partant, l’électoralisme partisan des uns et des autres n’entre pas dans sa comptabilité. C’est une dynamique qu’il veut imprimer et s’il assure le suivi des grands chantiers, il ne se désintéresse pas de la proximité, du terrain, de l’écoute des doléances des plus humbles, ce monde d’exclus et de “sans voix”.
Un équilibre subtil doit être trouvé dans les multiples formes de déploiement de son action. Démocrate, il veille à ne pas interférer dans la vie des partis ni dans l’élection de leurs dirigeants. A ce titre, il croit à la dialectique sociale et aux larges aspirations de libre choix des militants et des citoyens. Mais il se trouve que les bureaucraties partisanes peinent à se réformer dans le sens des principes posés par la nouvelle loi sur les partis d’avril 2002, complétés par celle d’octobre 2011. D’où le décalage qu’offre aujourd’hui le système partisan en place par rapport aux besoins et aux exigences de la société. Retour aux électeurs donc, en dernière instance, pour activer un processus de rénovation et de reprofilage des formations actuelles! La conduite des réformes commande de l’autorité et de la détermination. Quelle que soit la bonne volonté d’un gouvernement, le soutien royal est nécessaire.
Mais cet appui n’est pas inconditionnel –une sorte de “chèque en blanc”– tant il est vrai que l’action et les réformes doivent s’inscrire dans une démarche globale cohérente, répondant pleinement aux objectifs qui lui sont assignés. Dans des cas, un cadrage suffit –et c’est ce qui relève des attributions du Conseil des ministres, présidé par le Roi-; dans d’autres, c’est de recadrage qu’il s’agit pour corriger, mettre en perspective, préciser les mesures et leurs effets. Au total, au-delà de son statut constitutionnel qui est –et qui est resté– prépondérant, le Souverain exerce une magistrature morale, d’influence et de régulation. Et le peuple marocain ne comprendrait pas qu’il n’en soit pas ainsi !... C’est aussi cela le job royal.