
ANNIVERSAIRE. Au terme de quatre années de transition, après l’ère Mahjoub Benseddik, l’UMT a apporté une vision nouvelle et entreprenante du champ syndical. Une force de pression et de proposition repensée et revigorée.
Il y a des commémorations qui valent leur pesant d’histoire. Le 11ème congrès de l’Union marocaine du travail (UMT), qui coïncide avec le 60ème anniversaire de sa création, va plus loin qu’une simple et néanmoins nécessaire remémoration. Il constitue un moment privilégié pour jauger le rapport du temps passé au temps présent. Une mémoire syndicale revisitée; avec ses défis, ses obligations et ses enjeux d’époque, d’une part; et, d’autre part, l’incontournable actualisation du syndicalisme, avec ses contraintes, ses servitudes et ses réalités d’aujourd’hui et de demain. C’est à cette confluence que se situent les assises de la première centrale syndicale du Maroc. Dès l’entrée du siège de ce temple du mouvement syndical marocain, on ressent la charge historique des lieux. Mais, en même temps, on guette les manifestations de changement. On est d’abord surpris par le paraître de ces syndicalistes des temps nouveaux. Ils sont jeunes dans leur vestimentaire plutôt soigné, avec une présence féminine bien plus prononcée que par le passé. Au 8ème étage de cet imposant bâtiment, qui en compte onze et 90 bureaux, on travaille portes ouvertes. Cette observation de prime abord véhicule, à dessein, deux messages facilement lisibles par les initiés de la chose syndicale.
Un legs historique
L’UMT n’est pas une organisation vieillotte qui croule sous le poids de son histoire. Elle entend se régénérer en rajeunissant ses cadres, le reste viendra avec le même entrain, si ce n’est déjà fait. Quant à la “bureaucratie syndicale” derrière des portes closes, qui lui a collé à la peau pendant des décennies, par la grâce de ses adversaires, c’est du passé que l’on veut définitivement révolu. L’UMT a, désormais, des dirigeants et des responsables dans les différents secteurs d’activités qui sont visibles et accessibles.
Ces aspects d’apparence formelle donnent en fait sur un réaménagement du contenu. Un recadrage lourd à la manoeuvre après plus d’un demi-siècle d’un syndicalisme fortement marqué par des contextes qui ont forcément évolué. Comment être en phase avec cette évolution pour ne pas paraître complètement ou même partiellement décalé; et sans renier un legs historique où tout n’est pas à évacuer? C’est l’équation à laquelle était confrontée la nouvelle équipe dirigeante de l’UMT, dès la disparition du fondateur et chef charismatique, Mahjoub Benseddik, décédé le 17 septembre 2010. De toute évidence, l’après-Benseddik n’allait pas être de tout repos.
Un kaléidoscope de syndicats
Dès après l’indépendance, l’UMT a pris pour dogmes de référence l’unité syndicale, l’indépendance vis-à-vis du pouvoir et des partis politiques, et la démocratie interne. Mis à l’épreuve de la pratique de tous les jours et du temps qui passe, ces trois principes n’ont pas tous connu le même sort. L’unité de la classe ouvrière a volé en éclats, pour déboucher sur un kaléidoscope d’une trentaine de syndicats ayant pignon sur rue et prétendus comme tels. Quant à la démocratie interne, c’est ce qui a manqué le plus durant le pouvoir absolu d’un Mahjoub qui n’y croyait pas. Seule l’indépendance de l’organe syndical a survécu, après une expérience avortée de rapprochement avec l’UNFP (Union nationale des forces populaires) dans les années 1960.
Quelle ligne de conduite syndicale adopter au regard de ce tri qui s’est fait au gré de l’événementiel politique et des mutations sociales qu’a connues le pays? C’est la question qui devait déterminer et donner du sens à l’après-Mahjoub. Le primat de la démocratie interne a prévalu, en tant que passage obligé qui conditionne le fonctionnement de la centrale et les prises de positions sur les problèmes du moment. Désormais, les instances du l’UMT se réunissent régulièrement, à commencer par le Secrétariat national, qui n’était, jusque-là, presque jamais convoqué.
Mahjoub Benseddik présentant à S.M. le Roi Mohammed V une délégation des syndicalistes de l’UMT
Démocratie interne
Les affinements organisationnels; les prises de décisions par rapport au factuel social et politique; ainsi que les grandes orientations, sont soumis à l’appréciation du Conseil national. Dans ce “parlement syndical”, le débat contradictoire n’est pas interdit. Une nouveauté. Mieux encore, les syndicalistes en parlent dans les médias. Le Secrétaire général, Miloudi Moukharik, répond volontiers aux sollicitations des médias, tous supports confondus. Après des décennies d’enfermement, l’UMT s’ouvre sur l’univers médiatique et les nouvelles technologies, à partir d’une véritable stratégie de communication. L’indépendance vis-à-vis des partis politiques ne signifie plus, comme cela était le cas auparavant, le rejet et la négation. Pour la simple raison qu’il n’y a pas de démocratie sans partis politiques. L’UMT, centrale syndicale unitaire, reste ouverte à toutes les sensibilités partisanes progressistes qui font le choix du rassemblement plutôt que de la division.
La marche unitaire du 6 avril 2014 et la grève nationale du 29 octobre de la même année, qui ont regroupé trois centrales syndicales -l’UMT, la CDT et la FDT- ont démontré que l’unité de la classe ouvrière pouvait aussi se faire par l’unité d’action syndicale ponctuelle et parfaitement coordonnée. Cette initiative concertée a été une première que le champ syndical n’avait jamais connue auparavant. Il faut dire que le dialogue social, qui s’est enlisé, pour n’aboutir à aucun résultat concret, a rendu indispensable ce regroupement syndical, où l’UMT a joué un rôle d’impulseur et de catalyseur.
Opération d’élagage
La relève de Mahjoub Benseddik n’était pas facile. Une vaste opération d’élagage, de remise sur route et de réorientation était nécessaire. Pour conduire ce chantier délicat au regard de certaines habitudes acquises, il fallait à Miloudi Moukharik et à son équipe déployer des trésors de patience et d’échange en interne. On peut dire qu’au terme de ces quatre années de transition, l’UMT, repensée et revigorée, est revenue sur la scène nationale avec plus de présence comme force syndicale de pression et de proposition. Sans négativisme systématique et sans un quelconque alignement sur des politiques contraires aux intérêts et aux aspirations légitimes de la classe ouvrière.