La prise en charge médicale en milieu carcéral, étudiée lors d’un colloque national à Rabat

prison


Des progrès sont réalisés, mais beaucoup reste à faire


Prisons. A l’image de la prise en charge médicale de la population marocaine, celle carcérale est encore plus touchée par les carences du système de santé. Traitements et personnel médical insuffisants, absence de soins psychiatriques… les détenus sont doublement pénalisés.

En dépit des progrès réalisés  au cours des dernières  années, la prise en charge  médicale des détenus dans  les prisons marocaines reste  encore limitée. C’est ce qui ressort des  travaux du colloque national, tenu  à Rabat le 26 octobre 2015, sous le  thème «La santé dans les prisons: quel  système pour une meilleure prise en  charge sanitaire?»

Les chiffres avancés par le délégué  général de l’Administration  pénitentiaire et de réinsertion,  Mohamed Salah Tamek, sont à ce  propos édifiants. Ils montrent la  difficulté des prisonniers d’accéder aux  soins de santé. Les prisons marocaines  comptent un médecin pour 800  détenus, un dentiste pour 1.200 et un  infirmier pour 190 prisonniers.  Aux problèmes de promiscuité, qui  rendent difficiles les conditions de  détention des prisonniers, s’ajoutent  ceux de la prise en charge médicale  d’affections généralement favorisées  par le surpeuplement et par le  manque d’hygiène.

D’après une étude rendue publique  par l’Observatoire marocain des  prisons, le 28 juillet 2015, 13.378  nouveaux détenus ont grossi la  population carcérale marocaine  entre 2009 et 2014, portant le total,  en avril 2015, à 76.000 détenus  répartis sur 77 centres de rétention.  Résultat, beaucoup de prisons  dépassent leur capacité en nombre  de prisonniers. Les prisons de Oukacha  et de salé détiennent des raccords de surpeuplement, avec, respectivement,  8.000 et 6.000 détenus. Alors quand  le ministre de la Santé, El Houssaine  Louardi, affirme que plus de 42.000  détenus ont bénéficié de consultations  médicales dans les structures  sanitaires du ministère de la Santé,  il faut comprendre que moins de la  moitié des détenus ont reçu des soins  médicaux. 1.500 ont été admis pour  hospitalisation dans les hôpitaux  publics et 400 autres ont subi des  interventions chirurgicales au cours  de l’année 2014.

Surpeuplement et promiscuité
Encore pire est la situation des  prisonniers que les institutions  sanitaires refusent souvent de recevoir  parce que ne bénéficiant d’aucune  couverture médicale. Cet état de fait  a été dénoncé par des associations de  défense des droits de l’Homme.
La précarité des détenus et la fragilité  de l’équilibre des soins sont aggravés  par la propagation du virus du VIH  dans le milieu carcéral. Partout dans  le monde, la prison est un lieu de  cristallisation des problèmes sociaux.  L’incidence de l’infection par le VIH  parmi les populations carcérales  est généralement plus élevée qu’en  milieu ouvert. Il en est de même pour  les hépatites et la tuberculose, en  raison de la consommation de drogues  et des comportements à risque en  milieu carcéral (partage du matériel  d’injection, rapports sexuels non  protégés…). Ces pratiques favorisent  la propagation de maladies parmi les détenus.
Ce qui rend préoccupante la situation  sanitaire de cette population. Encore  une fois, les statistiques officielles  sont loin d’être rassurants. Le  ministre de la santé révèle, en fait,  la prévalence élevée de l’infection  au VIH en milieu carcéral, qui oscille  entre 0,3 et 2,5%. Vu la gravité de  la situation, le ministère de la Santé  a alloué un budget de 3 millions  de dirhams (MDH) au cours de  ces 4 dernières années pour lutter  contre le SIDA et les infections  sexuellement transmissibles en  plus d’une enveloppe budgétaire  supplémentaire de 2.5 MDH  mobilisée pour la période 2015-2017.

Drogue, Sida et tuberculose
D’après les déclarations du  ministre de la Santé lors de ce  colloque national, ces fonds sont  mobilisés pour la sensibilisation  et l’éducation sanitaire de plus  de7.000 pensionnaires contre le  risque d’infection par le VIH. Ce  volet prévention a également permis  la formation et la sensibilisation  du personnel des établissements  pénitentiaires au dépistage précoce  du virus et l’introduction de la  thérapie de substitution aux opiacées  (TSO) par la méthadone auprès  des usagers de drogues injectables  (UDI) pour réduire le risque de  transmission de l’infection.

Quant à la prise en charge du  Sida dans les prisons, elle serait  similaire à celle dont jouissent tous  les Marocains, selon le Pr Hakima  Himmich, ancienne présidente de  l’association de lutte contre le SIDA.  Interrogée sur cette problématique,  elle nous a répondu: «Les prisonniers  reçoivent des soins dans les centres hospitaliers comme les autres.  Ils n’ont aucun problème pour  accéder aux traitements. Ils en  bénéficient sans stigmatisation  ou discrimination aucune». Autre  problématique soulevée lors de ce  colloque national, celle de la prise  en charge des malades mentaux. A  cet effet, Mohamed Lididi, membre  du conseil d’administration de la  Fondation Mohammed VI pour la  réinsertion des détenus, a insisté sur  la nécessité d’accorder plus d’intérêt  à la santé mentale des détenus.

Santé mentale
La situation actuelle fait état d’une  absence quasi totale d’une prise  en charge adaptée de ce type de  pathologie. «Il n y a pas de véritable  suivi dans les prisons marocaines.  Les détenus sont pris en charge par  des généraliste mais pas par des  psychiatres qui ont des conventions  avec les prisons. Les malades  mentaux sont généralement  transférés au fameux pavillon  36, à Casablanca», déplore le Dr  Mouhcine Benyachou, psychiatre  et sexologue, en précisant qu’il  existe deux typologies de détenus  souffrant de troubles mentaux. «Il y  a une population qui souffrait déjà  de troubles avant son incarcération  et une autre qui tombe malade  suite à l’emprisonnement. La place  de la première catégorie n’est pas  en prison. Les deux sont négligées,  au même titre que celle qui n’est  pas en prison. En Europe, des  psychologues sont affiliés en prison.  Les généralistes ne sont appelés, eux,  qu’en cas de besoin».

En effet, l’incarcération peut aggraver  les troubles mentaux de certains  détenus à cause de l’insuffisance  des soins dispensés et des conditions  de vie dans les établissements  pénitentiaires (promiscuité, troubles  du sommeil, consommation de  drogue...). Conséquence, le taux du  suicide peut augmenter. Mais quand  le détenu n’arrive pas à mettre fin  à sa vie, il continue de souffrir et vit  avec sa pathologie.
Une bonne initiative a néanmoins  été prise par le ministre de la Santé,  à savoir l’intégration des détenus  parmi les bénéficiaires du Régime  de l’Assistance Médicale (RAMED)  pour couvrir leurs besoins sanitaires.  Il reste à rendre plus viables les  conditions d’incarcération. Un défi  de taille.

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