À une époque où toute demande d’augmentation des salaires est reçue par le gouvernement comme une grossièreté provocante, certaines rallonges passent comme une lettre à la poste. Les heureux bénéficiaires sont les moqadems, les chioukhs et les arifats. Ils ont eu une prime mensuelle de 500 Dh nets, répartie sur deux ans et effective au 1er juin 2016 pour la première tranche de 250 Dh. Cette majoration a été validée par le conseil de gouvernement du jeudi 12 mai 2016.
Ce n’est pas tant le montant qui interpelle, vu la cure d’amaigrissement forcée que subit le pouvoir d’achat, mais les récipiendaires. Car voilà une catégorie d’agents de l’État qui a connu une métamorphose accélérée ces dernières années. Il fut un temps, pas très lointain, où les moqadems étaient perçus comme l’antidote des libertés individuelles et collectives.
Deux personnes qui se chuchotaient des choses au coin d’une rue, c’était forcément louche pour le moqadem du quartier. Autant on le craignait, autant il était; et il reste, d’ailleurs, le passage obligé pour de nombreuses démarches administratives incontournables. Il valait mieux être en bons termes avec lui.
Une précaution qui devenait compliquée si on était catalogué parmi l’opposition politique. C’était les années de braise où toute velléité réfractaire devait être débusquée et rapportée au caïd. De même que les moqadems étaient régulièrement accusés, s’ils ne le sont pas toujours, de contribuer à la triche électorale. Les temps ont changé, les moqadems aussi. Certaines constantes fonctionnelles persistent. Le moqadem est toujours cette oreille constamment à l’écoute, au plus proche du citoyen, jusque derrière les murs supposés étanches de son vécu domestique. Rien ne doit lui échapper sur son espace d’investigation permanente.
Il reste l’épine dorsale de l’autorité publique, dont les rapports, sous couvert du caïd, sont patiemment décortiqués par les services centraux du ministère de l’Intérieur. Une source de renseignement informelle qui a évolué par la force du factuel et de l’environnement sociétal.
Ce sont plutôt la nature et la cible de ces observations qui ne sont plus les mêmes. Il s’agit aujourd’hui de concentrer l’attention sur une toute autre clientèle. Celle des branches radicales d’un islamisme dit salafiste-jihadiste, dans le sens dévoyé de ces deux concepts d’emprunt et de couverture. En clair, les illuminés porteurs de danger imminent pour le commun des mortels. Tout indique que les moqadems jouent un rôle d’éclaireurs de proximité dans ce vaste domaine d’information et de prévention. Ils semblent même avoir été taillés pour cela.
Une tâche salutaire qui vaut bien une augmentation. Un supplément d’émoluments et une valorisation statutaire qui devraient les inciter à vivre un peu moins sur l’habitant; y compris en période électorale