La jeunesse hors champ

Mustapha Sehimi

Le chantier de la jeunesse nécessite une grande mobilisation. La volonté existe au plus haut niveau de l’Etat mais c’est aux politiques publiques d’agir et de prendre les mesures appropriées.

S’il fallait un abrégé de la situation actuelle des jeunes, ce serait deux chiffres d’un sondage effectué voici quelques mois. Si 64% des jeunes d’entre eux se disent «fiers d’être Marocains», en revanche 60% quitteraient le Royaume s’ils en avaient l’opportunité. Paradoxal? Pas vraiment parce que l’on a affaire à deux registres distincts, l’un identitaire, social et culturel, et l’autre lié aux conditions et aux perspectives de travail, d’épanouissement et, plus globalement encore, de vie. Ah! La jeunesse! Tout un chacun a son idée, son ressenti sur cette question. Le discours dominant, officiel ou non, est et reste conventionnel. Tout a été dit et pratiquement ressassé sur leurs problèmes, leurs difficultés d’insertion et d’employabilité. L’on note même une inflation de chiffres. Ainsi, un jeune sur quatre est sans travail, 34% de la population relèvent de cette tranche démographique et 60% d’entre eux sont dans le monde urbain. Une «bombe sociale» à retardement, selon bien des approches.

L’une d’entre elles explique ainsi que la démographie actuelle constitue un facteur révolutionnaire en avançant que les jeunes qui se sont mobilisés lors du printemps arabe en 2011 relevaient pour la majorité d’entre eux du milieu des années 1980; et que la combinaison de trois facteurs (régime autoritaire, une économie pauvre et un pic de naissances 25 ans plus tôt) poussent au changement de l’ordre en place. Pareille interprétation n’est évidemment pas à évacuer tant il est vrai que de nombreux facteurs, locaux ou internationaux, doivent également être pris en considération pour rendre compte de la dynamique sociale et de son expression contestataire. Le fait n’en demeure pas moins qu’un jeune de 25 ans déscolarisé ou sans diplôme se trouve sans emploi et, partant, sans possibilité de mariage et de fonder un foyer. Il vit mal cette situation d’exclusion professionnelle et sociale et doit gérer et assumer la frustration, la rancoeur et l’exclusion. La colère se conjugue avec la révolte; la cohésion sociale est menacée.

Sur ce diagnostic, bien peu de divergences entre les uns et les autres. Que nous diton? Que les jeunes sont au coeur de la transformation de la société; qu’il faut une stratégie intégrée et une nouvelle impulsion; qu’il importe de définir et de réaliser un développement inclusif sur la base de leur participation, de l’équité et de l’égalité, d’une gouvernance cohérente nationale et territoriale; et qu’un dispositif efficient doit être mis sur pied. Comment ne pas se rallier à cette approche? Mais c’est le mode d’emploi, autrement dit la faisabilité de cette nouvelle politique –un autre paradigme– qui reste problématique. Le Roi, dans ses deux derniers discours, a mis le doigt sur tous ces aspects. Le diagnostic a été fait depuis des lustres et il a été rappelé. Un programme a été défini et il appartient au gouvernement de le traduire en mesures concrètes et opératoires. Dans les mois qui viennent, l’on aura une première évaluation de ce changement. Mais c’est une perspective globale, sur le moyen et le long termes, qui doit être le socle et le référentiel de la présente législature et de celles qui vont suivre.

C’est que ce grand chantier de la jeunesse nécessite une grande mobilisation. La volonté existe au plus haut niveau de l’Etat mais c’est aux politiques publiques d’agir et de prendre les mesures appropriées. C’est donc un changement qui ne peut venir que par le «haut». En bas, l’état d’esprit prégnant dans la société exprime des attentes, des besoins, des aspirations aussi mais il ne trouve pas des structures de réception et d’agrégation pouvant peser sérieusement sur les pouvoirs publics. Si bien qu’il n’y a, en dernière instance, que la concertation qui permet de se faire entendre et éventuellement de peser sur le processus décisionnaire. D’une autre manière, les jeunes ne disposent pas d’un lobby organisé pouvant faire pression et défendre publiquement, dans le cadre des institutions, leurs revendications. Et puis la jeunesse n’est pas un corps social homogène mais bien composite avec des segments différenciés (monde rural/monde urbain, profils, cursus…). Et puis prend-on la peine d’aller au delà des chiffres et des statistiques pour tenter d’appréhender l’univers culturel des multiples catégories de jeunes.

Les nantis, les possédants doivent comprendre qu’il leur faut faire montre de davantage de solidarité nationale pour plus de justice sociale. Leurs acquis et ceux de leur descendance ne seront sans doute garantis et durablement sécurisés que si la jeunesse hors champ trouve sa place, elle aussi, dans le développement. La myopie et l’autisme ne sauraient perdurer sauf à prendre le risque d’une dislocation du lien social aux effets imprévisibles et incontrôlés.

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