C’est aussi notre guerre
ENDOCTRINEMENT. La France a peur. Elle est en guerre contre un ennemi insaisissable et une ligne de front à l’autre bout du monde. Pourquoi la France, cible du terrorisme intégriste?
Décidément, la France n’en a pas fini avec le terrorisme. Après le vendredi 13 novembre 2015 le plus néfaste de son histoire, les terroristes ont encore frappé, le mercredi 18 novembre à Saint-Denis, dans la région parisienne. Dès l’aube, les habitants sont réveillés en sursaut par le bruit d’explosifs et de tirs à l’arme de guerre. Cette opération de la police et de l’armée françaises devait empêcher une éventuelle riposte terroriste à l’intensification des raids aériens français contre les sites de Daech en Syrie.
À croire que le pays du Levant n’est plus qu’à un lancer de grenade d’un faubourg parisien. Revenons à cette nuit blanche de ce vendredi noir. Au terme d’une semaine de labeur, les Français devaient légitimement céder à une relâche de décompression et de loisir. Hormis les 80 mille qui avaient fait le déplacement au stade de France pour assister à la rencontre amicale entre les Bleus et l’Allemagne, nombre de Parisiens emplissaient les restaurants et les bars, histoire de bien entamer le week-end.
Le massacre à son paroxysme
En quelques tours de chronomètre, Paris allait connaître l’une des nuits les plus sanglantes de son histoire. En l’espace de 33 minutes, entre 21h20 et 21h53, sur six lieux d’impacts meurtriers, de paisibles noctambules avaient rendez-vous avec la mort. Lorsque l’assaut des forces de sécurité est donné au Bataclan, où se tenait un concert de musique, pour déloger des terroristes preneurs d’otages, le massacre est à son paroxysme pour un total de 132 morts et 353 blessés, dont une centaine graves.
Commence alors l’exercice pénible d’explication du comment et du pourquoi. D’où viennent ces assaillants de l’apocalypse? Quel est leur mode opératoire? Qui les encadre, les endoctrine, les entraîne, les arme et les finance? Quelles sont leurs motivations premières? Quels sont leurs objectifs, déclarés ou supposés? La sécurité des Français passe par cette foule de questions. La classe politique est sommée de répondre à une opinion publique pressée de comprendre.
Dans les filets de l’intégrisme
À l’évidence, ces assassins du bout de la nuit ne sont pas venus d’une autre planète. Ils sont 14 impliqués, dont 8 tués, 3 recherchés et 3 en détention provisoire, pour les attaques du vendredi 13; puis deux neutralisés et pas moins de 7 interpellés pour l’opération du mercredi 18. Leurs patronymes trahissent une consonance maghrébine. Ce sont effectivement des Maghrébins naturalisés français ou belges et pour la plupart natifs de ces deux pays.
Ils sont le produit d’une génération d’immigrants d’une autre époque. Ils connaissent toutes les ficelles de leur société d’adoption. Délinquants en herbe dès leur tendre adolescence, nombre d’entre eux ont eu maille à partir avec la justice pour des délits de droit commun.
Très tôt, ils sont pris dans les filets de l’intégrisme radical à l’affût de ce type de profil dans les banlieues de Paris, de Bruxelles et d’autres espaces suburbains d’Europe occidentale. Certains, parmi eux, sont passés par les camps d’entraînement de Daech, en Syrie, pour apprendre à manier les armes automatiques et les ceintures d’explosifs. Les services de sécurité français ont appris à leur dépens que le fichage et la gestion informatiques de ces individus ne suffisent pas. L’élément humain reste incontournable. Les Américains étaient arrivés à la même conclusion, après les attaques du 11 septembre 2001. La mondialisation et le flux migratoire de ces dernières années ont rendu les frontières un peu plus poreuses. A la grande satisfaction du terrorisme international, qui ne s’en est jamais formalisé. D’ailleurs, la tuerie du 13 novembre a révélé une véritable connexion franco-belge du terrorisme.
Ce n’est pas parce que ces Maghrébins convertis à l’intégrisme terroriste sont porteurs de nationalités étrangères qu’il faut s’en laver les mains. Dans ce cas d’espèce, en tout cas, se défausser sur les pays d’accueil est dangereusement contreproductif. Le Maroc, lui-même exposé à ce genre de risque, et qui plus est traditionnellement ouvert sur l’extérieur, a toujours appelé à une coordination antiterroriste transfrontalière. Un exemple récent nous est fourni par l’actualité. Le cerveau et commanditaire présumé des attaques du 13 et 18 novembre à Paris est un certain Abdelhamid Abaaoud. Ce Belge de naissance et de nationalité est néanmoins marocain.
Formatage intégriste
Il a peut-être quelques prolongements autres que familiaux au Maroc. L’hypothèse est d’autant plus plausible que Abaaoud, 28 ans, est un gradé dans la hiérarchie de Daech, chargé du recrutement et du formatage intégriste. Il est d’ailleurs soupçonné d’avoir été présent dans l’appartement de Saint-Denis pris d’assaut par les forces de sécurité, le 18 novembre 2015. Il y a échappé, mais il reste recherché par toutes les polices d’Europe.
C’est dans ce même appartement qu’une femme kamikaze, Asmae Belehsen, s’est fait exploser et qui n’est autre que la cousine de Abdelhamid Abaaoud. Elle devait certainement actionner sa ceinture au milieu de la foule pour faire un maximum de dégâts.
Cellules dormantes
Les Marocains de filiation, comme Abaaoud, mais un peu plus chair à canon, sont, au bas mot, 2 à 3 mille dans les rangs de Daech. Ils sont programmés pour frapper au Maroc. Il est très probable que quelques uns de leurs acolytes sont déjà sur place. Le démantèlement régulier des cellules dormantes prouve que les services concernés sont constamment aux aguets. Même si cette régularité, nécessaire; mieux, vitale, en terme de veille permanente, a quelque peu banalisé le phénomène pour un public assuré d’être sécurisé, mais qui ne perçoit pas forcément le travail de tous les jours, en amont, pour arriver à ces résultats, en aval.
Comme dans tous les extrémismes, le résultat final est toujours régressif par rapport à l’existant. C’est précisément ce qui ressort des mesures annoncées par le président français, François Hollande, dans son discours devant le parlement réuni en congrès, le lundi 16 novembre 2015. On retiendra deux décisions parmi d’autres: la déchéance de la nationalité pour les binationaux condamnés pour terrorisme, lesquels seront, manu militari, expulsés. Les lieux du culte musulman, où les prêches sont jugés élogieux pour l’intégrisme islamiste, seront fermés.
Stigmatisation au faciès
Par-delà ces anticipations d’urgence, il y a fort à parier qu’il sera un peu moins facile d’être musulman en France; que l’on soit pratiquant ou pas. La stigmatisation au faciès est bien partie. Il n’empêche. Force est de reconnaître que ces dispositions sont de bonne guerre. Une guerre d’un autre type où l’ennemi est insaisissable, sauf lorsqu’il s’explose. Une guerre où la ligne de front est ailleurs, pratiquement à l’autre bout du monde.
Mais pourquoi justement la France, nation phare du continent européen, ne serait-ce que par son rayonnement culturel, est-elle prise pour cible? L’impression qui prévaut est celle d’une France qui paye pour les errements de l’Occident dans cette partie de la planète de toutes les complexités et de tous les risques, le Moyen Orient et le Golfe Arabique. L’expédition anglo-américaine désastreuse en Irak et les interventions aériennes en Libye et en Syrie, avec la participation de la France, ont abouti à un chaos caractérisé et réveillé les reflexes d’anti-occidentalisme primaire. Par contre, sur la question palestinienne, les puissances euro-américaines se gardent d’intervention, comme si elles ne voulaient pas gêner Netanyahou dans sa politique de grignotage de ce qui reste des territoires occupés. Quitte à fermer les yeux sur le terrorisme d’État pratiqué par Israël.
Terrorisme d’État
C’est tout ce background explosif qui sous-tend la vague actuelle du terrorisme islamiste. Les promoteurs et les exécutants des attentats de Paris ont finalement atteint leur objectif, dès lors qu’ils ont plongé la France dans un état de peur diffuse.
Désormais, on y réfléchît à deux fois avant de s’attabler à la terrasse d’un café, d’aller au théâtre ou d’assister à un concert de musique. Quels qu’en soient les ressorts et les conséquences, cette terreur programmée, émanation d’un monde en mal de repère, reste cet ennemi intime à débusquer, à extirper et à éradiquer.