Kaïs Saïed, président tunisien, un Maghrébin convaincu

UN DESTIN À CONSTRUIRE

Ce qu’il y a d’intéressant dans les vues du nouveau Président tunisien, c’est qu’il a conscience que la construction d l’UMA est tributaire d’une réconciliation entre le Maroc et l’Algérie.

Tout grand intellectuel qu’il est, Abdallah Laroui s’est, à l’évidence, trompé lorsqu’il a affirmé au mensuel Zamane, au début de la décennie, que l’idée du Maghreb était juste celle d’une élite. Si l’Histoire, qui est sa spécialité première, peut, dans une certaine mesure, lui donner raison, ce n’est pas nécessairement le cas du présent. Deux évènements qui sont intervenus au cours de cette seule année 2019 suffisent à créditer l’existence d’un sentiment pan-nationaliste en Afrique du Nord-Ouest, même embryonnaire: la victoire, en juillet, de l’équipe d’Algérie de football en Coupe d’Afrique des nations (CAN), et plus récemment, ce 13 octobre, l’élection présidentielle tunisienne. Du Cap Blanc au désert de Libye et de la Méditerranée aux confins du Sahel, les peuples de la région les ont vécus comme si tous étaient directement concernés.

Et concernés, ils le sont, au vrai, toujours au premier chef dès lors qu’une partie d’entre eux est impliquée: en leur for intérieur, les Maghrébins ont, en tout état de cause, conscience que les États qui les séparent aujourd’hui sont d’abord le produit de conjonctures politiques particulières, non de différences ou de divergences civilisationnelles. Et même quand celles-ci peuvent, a priori, exister, elles restent, finalement, superficielles: dans un article qu’il a publié dans le mensuel français Le Monde diplomatique en juillet 1961 à son retour d’une enquête de terrain qu’il avait menée en Algérie, le sociologue français Pierre Bourdieu concluait que même la distinction entre amazighophones et arabophones n’avait pas lieu d’être, dans la mesure où les deux populations «parlent (...) la même langue culturelle, c’est-à-dire qu’ils associent spontanément le même comportement à la même intention et décèlent la même intention sous le même comportement». Au jeu des comparaisons, l’Union du Maghreb arabe (UMA) est, de fait, plus légitime qu’une organisation aussi intégrée que l’Union européenne (UE), dont les fondements demeurent, eux, in fine, comme l’indique d’ailleurs son nom, purement et simplement géographiques. A vrai dire, et contrairement à ce qu’allègue M. Laroui, c’est les élites maghrébines, et plus concrètement les dirigeants maghrébins qui, aujourd’hui, donnent l’impression d’être les premiers ennemis d’une construction régionale.

Avec l’élection de Kaïs Saïed à la présidence de la Tunisie et, possiblement, la transition en Algérie, la donne pourrait, ceci dit, changer. Le nouveau locataire du palais de Carthage est, on le sait, un Maghrébin convaincu, et il a d’ailleurs fait de l’UMA un des points du programme qui l’a porté au sommet de l’Etat. S’il s’en tient à ses promesses de campagne, le Maroc pourra, éventuellement, trouver en lui un allié de choix, puisqu’il faut rappeler que le Royaume a, jusqu’ici, été le seul à vraiment prêcher pour l’unité, par la voix notamment du roi Mohammed VI. Ce dernier a ainsi, entre autres allocutions données au cours de ses deux décennies de règne, consacré de larges pans de son dernier discours du Trône du 29 juillet 2019 au Maghreb, qualifié de «communauté de destin».

Ce qu’il y a d’intéressant dans les vues de M. Saïed, c’est qu’il a conscience que la principale pierre d’achoppement de la réactivation de l’UMA, à savoir le conflit du Sahara marocain, est tributaire d’une réconciliation entre le Maroc et l’Algérie, à rebours des assertions de la junte algérienne, qui refuse de se considérer partie prenante malgré son soutien financier, logistique, militaire et diplomatique évident au mouvement séparatiste du Front Polisario, qu’il abrite dans la wilaya frontalière de Tindouf depuis début novembre 1975.

Le président élu tunisien proposait ainsi, au quatorzième point de son programme, la création d’une commission maghrébine, dont il faudra cependant attendre pour connaître les contours précis. Plus que jamais, le Maghreb est appelé à saisir sa chance, au risque de continuer de rater le coche et rendre peut-être, à l’avenir, les divisions d’aujourd’hui irrémédiables...

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