Kader Abderrahim: "L'Algérie est un pays qui n'est pas gouverné"



Directeur de recherches à l’Institut de Prospective et de Sécurité en Europe (IPSE), Kader Abderrahim considère que face à la crise étouffante que le pays, le régime algérien tente de détourner les regards en instrumentalisant le Polisario.

Quelle lecture faites-vous de la montée des tensions au Sahara?
Les relations entre le Maroc et l’Algérie se sont dégradées sérieusement ces derniers temps. Il faut dire que face à la diplomatie conquérante et volontariste du Maroc, son retour dans l’Union africaine notamment, la diplomatie algérienne essuie les échecs successifs. C’est ce qui explique ce regain de tension au sujet du Sahara. Depuis plus de dix ans, c’est la première fois que le Polisario est utilisé pour exacerber les tensions entre le Maroc et l’Algérie. La situation autour de la question du Sahara est plus grave qu’elle ne l’était depuis des années. Cette montée de tensions, dois-je le rappeler, intervient dans un contexte assez difficile pour toute la région.

Dans quel sens?
Plus que jamais, la menace terroriste est très élevée dans tout le Maghreb. A plusieurs reprises, les groupes jihadistes sont passés à l’acte. Des milliers de miliciens bien armés sont installés en Libye, au Mali... Des pays avec lesquels l’Algérie partage des milliers de kilomètres de frontières. Les militaires algériens ont conscience de ce danger-là. Auquel il faut ajouter les combattants du Polisario, tout aussi bien armés, et qui sont installés à Tindouf. Certes, ces derniers ne peuvent pas constituer une menace pour la stabilité et la sécurité algériennes, mais ils peuvent instrumentaliser la situation pour tenter d’avoir des avantages diplomatiques. Ajouter à cela la situation interne en Algérie, qui est loin d’être rassurante.

Pourquoi n’est-elle pas rassurante?
Aujourd’hui, l’Algérie est un pays affaibli par la conjonction de plusieurs facteurs. Un président malade, dans l’incapacité totale depuis 2013 d’assumer ses responsabilités de chef d’Etat et que l’establishment s’entête à maintenir faute d’accord sur un successeur. Un président diminué physiquement que Djamel Ould Abbès, le chef de l’ancien parti unique, le FLN, appelle à briguer un cinquième mandat. Du jamais vu. Une véritable insulte aux 40 millions d’Algériens. Cette situation inacceptable a poussé des hommes politiques et des intellectuels algériens à publier un appel pour une sortie de crise.

Un appel pour éviter le chaos. L’Algérie est un pays qui n’est pas gouverné, mais plutôt tenu. Ce blocage politique accentué par le deuxième facteur qu’est la crise économique a donné lieu à une situation sociale des plus explosives. Depuis 2015, les manifestations de protestations contre la malvie, les mauvaises conditions de travail ne s’arrêtent pas. Les sans-emploi, les enseignants, les médecins… tous disent leur ras-le-bol. Si l’état de l’économie ne s’améliore pas dans les tout prochains mois, le pays risque de connaître une situation sociale ingérable.
Et, comme pour noircir davantage le tableau, les revendications d’ordre culturel ou communautaire se font de plus en plus prégnantes.

Il y a donc également la question communautaire qui est posée...
Depuis des années, mais les tensions se sont exacerbées dernièrement. On a des manifestations en Kabylie, d’autres à Ghardaïa et j’en passe. Chaque région a ses propres problèmes et compte le faire savoir de manière plus que jamais sérieuse. Dans ce contexte, que fait le régime algérien? Au lieu de prendre des initiatives de réforme courageuse, il ravive, par le truchement du Polisario, le conflit avec le Maroc. Une manière classique de détourner l’attention et d’appeler à l’unité nationale face à la menace externe.

Pensez-vous alors que la situation actuelle peut bien dégénérer en conflit armé entre le Maroc et l’Algérie?
La tension est importante sur le plan diplomatique, c’est certain. Les incursions des éléments du Polisario dans la zone démilitarisée peuvent provoquer une réaction militaire du Maroc. Ce dernier l’a d’ailleurs dit. Mais de là à ce qu’une guerre éclate entre l’Algérie et le Maroc, je ne pense pas.

La région du Sahel est assez instable et il y a tellement de conflits armés que la communauté internationale ne peut tolérer l’éclatement d’un autre. La France, l’allié principal de l’Algérie et du Maroc, tout comme les Etats unis ne peuvent laisser les deux pays entrer en guerre. La guerre entre Rabat et Alger peut embraser l’ouest de la Méditerranée et menacer le commerce international. L’Europe tout entière est concernée.

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