Entre le Maroc et le Nigeria, rien ne va plus. Rien n’est jamais vraiment allé à vrai dire entre les deux pays; le Nigeria étant depuis toujours, avec l’Algérie et l’Afrique du Sud, l’un des principaux soutiens au sein de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) puis à partir de 2002 à l’Union africaine (UA) du Front Polisario, réclamant la séparation de la région du Sahara. Cependant, jamais la crise ne s’était amplifiée à ce point. Rappel des faits: le 7 mars 2015, sans autre forme de procès, un communiqué du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération (MAEC) annonce que le roi Mohammed VI n’avait «pas jugé opportun d’accéder à» la demande du président de la République fédérale du Nigeria, Goodluck Jonathan, pour un entretien téléphonique. La raison, explique le communiqué, «la démarche est liée à des échéances électorales importantes» au Nigeria.
«La demande des autorités nigérianes s’apparente plus à un acte de récupération de l’électorat musulman de ce pays qu’à une démarche diplomatique normale», détaille-t-il.
Manoeuvres électorales
Mardi 10 mars 2015, nouveau coup de tonnerre. Dans un deuxième communiqué, le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération annonce le rappel «en consultation» de l’ambassadeur du Maroc dans la capitale du Nigeria, Lagos. Le ministère réitère, «de la manière la plus claire et la plus ferme», qu’à aucun moment il n’y a eu d’entretien téléphonique entre M. Jonathan et le Souverain et que ce dernier avait «effectivement décliné la demande des autorités nigérianes du fait qu’elle s’inscrit dans le cadre de manoeuvres électorales internes et des positions foncièrement hostiles de ce pays à l’égard de l’intégrité territoriale du Royaume». Il poursuit et ajoute que «le Royaume du Maroc exprime son étonnement et sa dénonciation à l’égard de ces pratiques contraires à l’éthique et à l’esprit de responsabilité qui doivent prévaloir dans les relations entre Etats».
Si le ton aurait, a priori, de quoi étonner, il n’en demeure pas moins qu’il s’inscrit dans la doctrine présidant désormais à la diplomatie nationale. A cet égard, il faut rappeler le message qu’avait adressé en 2013 le roi Mohammed VI à la première conférence des ambassadeurs; enjoignant ces derniers à «déjouer, avec toute la fermeté requise, les manoeuvres et les tentatives désespérées, fondées sur la calomnie et la mystification, entreprises par les adversaires de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale» du pays.
Et on l’a vu au mois de janvier 2015, l’approche avait fait plier l’Egypte, qui, dans le sillage de son rapprochement avec l’Algérie, avait attenté, à plusieurs reprises dans ses médias, à la marocanité du Sahara; ouvrant même les colonnes de ses journaux au secrétaire général du Polisario, Mohamed Abdelaziz. Cela étant, le point de «l’acte de récupération de l’électorat musulman» que font ressortir les Affaires étrangères est à interroger. Qu’en est-il en vérité?
Imaginaire politico-religieux
L’expression serait en fait à entendre dans un double sens. En premier lieu, M. Jonathan s’est, depuis son élection, beaucoup rapproché des positions d’Israël sur la question de la Palestine. C’est ce que semble sous-entendre le Maroc lorsqu’il fait également allusion, dans son communiqué, à des «positions» supposées du Nigeria à «l’égard de causes arabomusulmanes sacrées». Ainsi, en 2013, M. Jonathan avait été le premier président de l’histoire du Nigeria à se rendre dans l’Etat hébreu. Une deuxième visite avait fait suite à cette première en octobre 2014, mais ce n’est pas tant ces déplacements qui posent problème, étant normaux entre deux Etats souverains, surtout que, côté marocain, bien que ne reconnaissant pas Israël, jamais l’existence de l’entité sioniste n’a été remise en cause; le Maroc étant un soutien actif, notamment au sein du Comité Al-Qods présidé par le roi Mohammed VI, de la solution à deux Etats au Proche-Orient.
L’appui apporté par M. Jonathan aux thèses israéliennes, dont, en janvier 2015, à travers l’abstention du Nigeria de voter en faveur de la reconnaissance de la Palestine lors du vote du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), dont le pays est membre non permanent depuis début 2014, avait cependant non seulement fait grincer des dents dans le monde arabo-musulman, mais également au Nigeria, dont près de la moitié de la population, principalement dans le Nord, est de religion musulmane. C’est dans ce contexte, et alors que s’annoncent, le 28 mars 2015, les élections présidentielles nigérianes, auxquelles se présente M. Jonathan, que ce dernier a tenté d’initier des contacts avec un certain nombre de dirigeants de pays musulmans, dont également le roi d’Arabie saoudite, Salman bin Abdulaziz.
Cela étant, le fait que M. Jonathan ait voulu s’entretenir avec le roi Mohammed VI parmi tant de dirigeants musulmans –l’Organisation de la coopération islamique (OCI) compte 57 pays musulmans– en dit long sur la place que tient la monarchie marocaine dans l’imaginaire africain. Ainsi, l’Islam existant aujourd’hui dans les pays subsahariens est en majorité d’origine marocaine; les dynasties marocaines, principalement depuis les Almoravides (XIe-XIIe siècles) et la conquête de l’Empire du Ghana, ayant joué un rôle majeur dans la propagation de la religion sur le continent. Il en est de même de l’Islam confrérique que l’on retrouve dans de nombreux pays en Afrique, comme au Sénégal, où la tijaniyya, dont le fondateur, Ahmed Tijani, est enterré dans la ville de Fès, est la deuxième confrérie musulmane à compter le plus d’adeptes dans le pays.
Modèle d’Islam tolérant
Ces dernières années, et sur fond de “guerre contre le terrorisme” –l’expression est de l’ancien président américain (2001-2009) George W. Bush– le Maroc s’est par ailleurs distingué, et a contrario de nombreux autres pays musulmans, par son modèle d’Islam tolérant, appuyé sur le dogme achâarite, le rite malékite et le soufisme sunnite. Le directeur général des études et de la documentation (DGED), Mohamed Yassine Mansouri, avait d’ailleurs expliqué lors de son passage en septembre 2014 au Comité contre le terrorisme (CTC), relevant du Conseil de sécurité, que la «diffusion d’un Islam qui prône les valeurs de tolérance, d’altérité et du juste milieu en toute chose» était au coeur de la «stratégie multidimensionnelle du royaume en matière de lutte antiterroriste».
Cela, dans un contexte où le Sahel et le Sahara font face à une reprise accrue des activités terroristes dans la région. Le Nigeria justement aux prises depuis de nombreuses années avec l’organisation Boko Haram, avait été l’un des nombreux pays sahélo-sahariens -avec la Tunisie, la Libye, le Mali, la Guinée et la Côte d’Ivoire- à solliciter le Maroc pour former ses imams au sein de l’Institut Mohammed-VI des imams, morchidines et morchidates, dont les travaux avaient été lancés en mai 2014 par le Souverain.