
Pour Me. Jalal Tahar, il faut un régime fiscal juste qui prend en compte la spécificité de la profession d’avocat.
Les avocats, comme l’ensemble des professionnels libéraux, rejettent les nouvelles dispositions de la loi de finances consistant à la retenue des impôts à la source. Où réside le problème?
Le problème des avocats est très complexe. A la base, la profession a connu l’arrivée d’un nombre important d’avocats, ces dernières années. Certains, qui ont échoué dans les concours d’accès à d’autres fonctions ou professions, ont eu accès au barreau. Un nombre que «le marché», si je me permets le terme, ne peut supporter. Résultat: les cabinets existants depuis des années perdent de «la clientèle» et les nouveaux avocats peinent à se faire une place, voire à boucler les fins de mois. Certains n’arrivent même pas à louer
un local pour leur servir de cabinet. Une sorte de chômage déguisé. Dans ce contexte, le gouvernement décide de revoir la formule convenue de paiement forfaitaire des impôts pour les avocats en passant à la retenue à la source.
Oui, mais où est le problème?
Le profession d’avocat n’est pas et ne doit être assimilée à du commerce. De ce fait, elle ne peut être régie par les dispositions du Code du commerce. La profession d’avocat est liée à la défense des droits de l’Homme dans leur acception la plus large. L’avocat défend les intérêts du citoyen, aussi bien économiques, sociaux que sur le plan de la liberté. Ce n’est pas un service que l’avocat vend. Pour ce qui est de la retenue à la source, sur quelle base ça va se faire? Un avocat doit remettre une facture estimative à un client d’un montant quelconque. Or, entre les deux, il y a des discussions tout le long de la procédure. Parfois, il y a un accord à l’amiable entre le client et son adversaire. La facture remise par l’avocat n’est donc plus valable. L’avocat ne touche alors que 10% du montant, voire moins. Parfois aussi les discussions au cours du processus judiciaire entre le client et l’avocat permettent la révision à la baisse du montant réclamé par ce dernier et consigné sur la facture déposée au tribunal. Comment va alors faire l’avocat?
L’avocat ne peut pas rectifier la facture...?
Contrairement à tout ce que l’on sait sur le Code des impôts, où l’assujetti règle les montants dus après recouvrement, on exige des avocats un paiement avant recouvrement. Ainsi, pour chaque plainte que l’avocat dépose au nom d’un client, il doit s’acquitter d’un montant fixe, 300 Dh si c’est au tribunal de première instance; 400 pour l’Appel ou 500 pour la Cour de Cassation.Chaque fois qu’un avocat prend la défense d’un client, il doit payer un montant en fonction des honoraires estimées. C’est une aberration. Si on ajoute toutes les taxes que l’avocat sera appelé à payer, il aura toutes les difficultés pour survivre.
Certains estiment que votre rejet des dispositions fiscales est synonyme de refus de payer vos impôts, le ministre de la Justice a même dit que 95% des avocats ne paient pas d’impôt?
Les avocats sont des citoyens comme les autres. Nous ne refusons pas de nous acquitter de nos impôts. Au contraire. Mais il faut un régime fiscal juste qui prend en compte la spécificité de notre profession. L’avocat, par exemple, ne bénéficie pas de régime de retraite ou de couverture médicale, sauf s’il souscrit lui-même à des contrats personnalisés. Quant aux déclarations du ministre de la Justice, je me demande d’où il a sorti ce chiffre. Dispose-t-il de données sur ce sujet? Et si, comme il le dit, 95% des avocats ne paient pas, que fait alors la Direction des impôts et que font ses fonctionnaires chargés du recouvrement? Nous sommes en pleine négociation avec les pouvoirs publics pour une solution à ce problème, il ne faut pas compliquer davantage la situation par des déclarations pareilles.