Jaafar Heikal: Notre système de santé n’est pas suffisamment réactif aux fortes pressions sanitaires

Ce professionnel de la santé affirme soutenir les propositions du ministre de la santé, Khalid Ait Taleb, dès lors qu’elles soient dans l’optique d’une refonte du système de santé comme demandé par SM le Roi Mohammed VI.

En tant que professionnel de la santé, que pensez-vous de la réforme du système de santé proposée par le ministre, Khalid Aït Taleb?
J’ai l’impression qu’il y a des choses qui ne sont pas très écoutées. S.M. le Roi Mohammed VI, dans son discours adressé en 2018 aux professionnels de la santé, n’a pas parlé de réforme, mais bel et bien d’une refonte du système de santé. Les réformes, on en a fait plusieurs depuis des années et malheureusement, nous n’avons pas atteint des résultats optimaux.

Bien sûr, beaucoup de progrès ont été faits comme l’amélioration de la santé de la mère et de l’enfant, le renforcement de la couverture vaccinale et la lutte contre les maladies infectieuses. Mais là où nous n’avons pas répondu aux demandes de la population réside dans l’incapacité de notre système de santé à permettre à tous les citoyens marocains d’avoir accès aux services de santé d’une façon universelle.

Pensez-vous que le régime du Ramed n’a pas rempli son rôle dans ce sens?
Le régime du Ramed n’a pas donné les résultats escomptés. Le Ramed, qui est un projet royal instauré en 2012, a conduit à une situation par laquelle les hôpitaux se sont paupérisés à cause de l’aggravation de leur situation financière.

Le Ramed a également provoqué des délais de diagnostic et des délais de rendez-vous de consultation qui sont anormalement longs. In fine, une bonne partie de la population, non satisfaite du Ramed mais qui n’a pas les moyens, se retrouve obligée de se tourner vers le privé pour se soigner. Cette population Ramediste représente en moyenne entre 20 à 25% de la patientèle du privé.

Selon vous, l’Etat a t-il failli sur ce plan?
Il faut savoir que le principal acteur de la santé au Maroc n’est pas l’Etat, mais bel et bien le citoyen marocain. Sur 100 dirhams dépensés en santé au Maroc, 63,3 sont dépensés par les citoyens dont 50,7 dirhams représentent leurs contributions directes et 12,6 dirhams constituent leur cotisation à la couverture médicale de base. Je ne parlerais pas d’une faillite totale de l’Etat dans ce domaine, mais plutôt de l’échec de plusieurs politiques publiques menées depuis plusieurs années. Et la crise du Covid-19 est venue encore aggraver la situation car elle a montré que notre système de santé, comme dans plusieurs pays, n’est pas suffisamment réactif et résilient à de fortes pressions sanitaires.

Que faut-il alors faire, selon vous, pour que ce soit une refonte de notre système de santé?
Je soutiens les propositions du ministre de la Santé dès lors qu’elles soient dans l’optique d’une refonte du système de santé comme demandé par S.M. le Roi. A mon sens, la refonte doit concerner en premier lieu le ministère au niveau national et régional, la couverture sanitaire universelle réelle avec accès de tout le monde aux services de santé, une révision profonde de l’accès aux facultés de médecine publiques et l’ouverture de facultés privées, une répartition équitable et plus fluide des médecins sur le territoire national, un partenariat public privé dans chaque région selon les besoins de santé de la population (centre de santé et cabinet, d’un côté, clinique et hôpitaux, de l’autre), un regroupement des caisses d’assurances, la création de l’agence nationale de surveillance et contrôle des maladies et enfin la création de l’agence du médicament et des produits de santé.

Khalid Aït Taleb évoque le recours aux médecins étrangers pour combler le déficit des ressources humaines. Comment réagissez-vous à cela?
Sur le plan des ressources humaines, l’enjeu est plus dans la politique de formation de base en médecine et en sciences médicales (ouverture au secteur privé entre autres et élargissement de l’accès à ces métiers). A mon avis, l’apport des médecins étrangers n’est pas la solution optimale, mais très partielle à la couverture des besoins en zones enclavées et aux populations vulnérables car comme pour l’investissement étranger, il se concentrera dans les villes et grands centres urbains. L’apport des médecins étrangers peut être d’une grande valeur lorsque des techniques ou des spécialités sont à pourvoir ou à développer au Maroc et dans le cadre d’une réciprocité identique pour les médecins marocains comme le demande le président de l’Ordre des médecins du Maroc.

Ne faut-il pas, tout d’abord, puiser dans les compétences marocaines avant de recourir aux médecins étrangers?
Oui, tout à fait. Si on forme plus de médecins et si on donne plus de possibilités aux médecins marocains actuels publics en termes de moyens techniques, financiers et d’échanges de compétences avec leurs collègues du privé, qui sont à soutenir à tout de point vue, cela comblera une partie du déficit dans certaines régions.

On reproche souvent au ministre de la Santé son manque de concertation avec les professionnels de santé. Dans quelle mesure il se concerte avec vous?
Si on ne fait pas ce travail de remise en question en impliquant les instances représentatives, les professionnels de santé du public et du privé dans ce vaste chantier crucial pour le pays, nous risquons, au mieux, de créer de faux espoirs et, au pire, de perdre des années de politique publique inadaptée aux besoins de santé de la population.

Beaucoup de choses ont été réalisées au Maroc dans la santé par le secteur public et par le secteur privé et il faut en être fier. Mais nous devons faire encore plus et encore mieux car notre pays le mérite au moment où la crise de la Covid a révélé nos capacités et a montré que le sanitaire, le social, l’économique et l’humain sont intimement liés.

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