Critiqué pour avoir “normalisé” ses relations avec Israël, le Maroc reste finalement à l’avantgarde des pays pro-palestiniens de la région. Tout en maintenant de bonnes relations avec l’ensemble des parties, ce qui lui permet de jouer un rôle d’intermédiaire activement sollicité par les grandes puissances.
Que les États-Unis choisissent de s’en remettre au Royaume pour aider à apaiser les tensions en cours depuis le 6 mai 2021 au Proche-Orient entre Israéliens et Palestiniens ne saurait constituer une surprise. En effet, c’est dans l’ordre des choses que le secrétaire d’État du pays de l’oncle Sam, Tony Blinken, souligne “le rôle clé du Maroc dans la promotion de la stabilité dans la région”, comme l’a rapporté un communiqué du ministère des Affaires étrangères publié le 18 mai 2021 dans la foulée de l’entretien qu’a eu le diplomate américain avec son homologue marocain Nasser Bourita.
Au cours des jours précédents, M. Blinken avait, certes, également eu des échanges avec nombre de chefs de diplomatie arabes, à savoir, respectivement, le Jordanien Ayman Safadi -deux fois, les 10 et 17 mai-, l’Égyptien Sameh Shoukry, le Qatari Mohammed bin Abdulrahman Al-Thani et le Saoudien Faisal bin Farhan Al Saud -le 16 mai- ainsi que le Tunisien Othman Jerandi et l’Émirati Abdullah bin Zayed Al Nahyan -le 17 mai-, mais celui avec M. Bourita avait ceci de particulier qu’il est intervenu à un moment où nombre de sources médiatiques arguaient d’une implication marocaine pour l’obtention d’une trêve entre Israël et le mouvement palestinien du Hamas, dont le conflit actuel, débuté le 10 mai 2021, est sans doute le plus grave qui les oppose depuis au moins la guerre de la bande de Gaza de l’été 2014 -qui avait duré 49 jours et fait un minimum de 1.500 morts, dont une majorité écrasante d’innocents Palestiniens.
Condamnation officielle
À rebours de nombreux pays de la région, qui généralement choisissent soit un camp soit l’autre, le Maroc a ainsi l’avantage de traiter avec tout le monde: avec Israël bien sûr, avec qui il avait repris, dans le cadre des fameux accords d’Abraham, langue le 22 décembre 2020, plus de vingt ans après la rupture de leurs relations dans le contexte du déclenchement, en octobre 2000, de la seconde intifada palestinienne.
Mais aussi avec le Hamas, malgré sa condamnation officielle de ces accords, et ce par le truchement du chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani: ce dernier avait pour rappel reçu le 12 mai 2021 un appel du chef du bureau politique de l’organisation palestinienne, Ismaël Haniyeh, pour l’informer de l’évolution de la situation sur le terrain. Et il faut à cet égard rappeler que le Parti de la justice et du développement (PJD), dont M. El Othmani occupe par ailleurs depuis décembre 2017 le poste de secrétaire général, partage le même référentiel islamiste avec le Hamas, dont il avait à deux reprises, en juillet 2012 et décembre 2017 justement, invité le prédécesseur de M. Haniyeh au Maroc, en l’occurrence Khaled Mechaal -et ce avec la bénédiction du roi Mohammed VI, comme le concerné avait alors tenu à en remercier le Souverain.
Ce qui fait donc du Royaume une vraie exception dans la région, lui qui, comme le rappelle le journaliste franco-israélien Charles Enderlin dans l’interview qu’il nous a accordée pour le numéro de cette semaine, avait beaucoup oeuvré à la fin des années 1970 pour permettre à l’Égypte et Israël d’aplanir leurs différends vieux de près de trente ans à l’époque et ouvrir la voie à la signature, en septembre 1978, des accords de Camp David. Et la nécessité de disposer, surtout par les temps actuels, de “canaux que personne d’autre n’a”, comme les avait qualifiés le 14 décembre 2020, M. Bourita dans son interview au média électronique Kifache TV, est pour conforter son choix d’avoir toujours cherché à couper la poire en deux.
Dialoguer et critiquer
À cet égard, d’aucuns n’avaient pas manqué de taxer suite à sa “normalisation” avec Israël, comme la catalogue notamment la nébuleuse islamiste, le Maroc d’avoir trahi la cause palestinienne et de l’avoir troquée contre la sienne, c’est-à-dire celle du Sahara marocain, bien que dès le début le roi Mohammed VI ait ouvertement insisté sur le fait qu’à ses yeux les deux causes sont sur le même pied, et ce aussi bien au cours des appels qu’il avait eus le 10 décembre 2020 avec le président américain Donald Trump et dans la foulée avec le président palestinien Mahmoud Abbas -lequel Mahmoud Abbas avait également reçu, le 23 décembre 2020, une lettre personnelle du Souverain affirmant notamment que “l’action du Maroc pour consacrer [la] marocanité [de son Sahara] ne se fera jamais, ni aujourd’hui ni à l’avenir, aux dépens de la lutte du peuple palestinien pour obtenir ses droits légitimes”, selon ce qu’avait alors rapporté l’agence Maghreb arabe presse (MAP).
Les mêmes voix, parmi lesquelles on trouve principalement l’organisation d’Al-Adl Wal Ihsane (AWI) au Maroc et les milieux pro-séparatistes d’Algérie et d’ailleurs, avaient en outre également assuré que le Royaume se condamnait à ne plus pouvoir critiquer Israël; or non seulement il a finalement été le premier pays arabe à le faire, en fustigeant dès le 9 mai 2021 des “violations” qu’il “considère (...) comme un acte inadmissible et susceptible d’attiser les tensions” après les tentatives d’expulsion de sept familles du quartier musulman de Cheikh Jarrah, dans la ville sainte d’Al-Qods Acharif, mais il a en plus fait envoyer cinq jours plus tard au profit de la population palestinienne de Cisjordanie et de Gaza une aide humanitaire de 40 tonnes constituée de produits alimentaires de première nécessité, de médicaments de soins d’urgence et de couvertures. Au final, seuls comptent donc les actes, surtout lorsqu’ils finissent pas se joindre effectivement aux paroles...