“L’Algérie est une force, une force de frappe”. C’est ce que martelait, on s’en rappelle encore, le président algérien Abdelmadjid Tebboune voilà près de trois ans, en septembre 2021 à Alger, à une banale rencontre gouvernement- walis passée toutefois à la postérité par le truchement, justement, de cette assertion toute suffisante. Et le moins que l’on puisse dire est que le propos a plutôt mal vieilli.
Alors que l’on sait désormais que le cirque Tebboune va se prolonger au-delà de cinq ans, suite à la “réélection” du concerné à la présidentielle du 7 septembre 2024, force est, en effet, de constater que la voisine de l’Est est, bien au contraire, loin de pouvoir peser dans les affaires du monde, et que si elle parvient encore à disposer d’une quelconque résonance en dehors de ses frontières, c’est uniquement par la cause de ses errements qui l’ont amenée, coup sur coup, à faire aujourd’hui figure d’isolat diplomatique. Le constat, c’est d’ailleurs Abdelmadjid Tebboune lui-même qui l’avait fait, certes pour des considérations différentes par rapport à celles qui sont abordées ici, lors d’un meeting en date du 30 mars 2022 avec le secrétaire d’État américain, Tony Blinken: “On est entourés de pays qui ne nous ressemblent pas beaucoup, en dehors de la Tunisie (...). Sinon, toutes nos frontières sont en flammes: la Libye, déstabilisée; après la Libye, bien sûr, il y a tout le Sahel, cela va du Tchad, au Burkina, au Mali, le Niger; et même la Mauritanie est chancelante (...).
Et à côté, nous avons le Royaume du Maroc”. Tableau plus actuel que jamais qu’entretemps, et en dehors bien évidemment du Maroc, avec qui la rupture est consommée depuis août 2021 déjà -au prétexte risible, rappelons- le, d’une implication marocaine dans les feux de forêts en Kabylie-, l’Algérie est arrivée à se fâcher directement avec le Mali, où elle soutient les séparatistes touaregs à l’encontre du pouvoir central malien, et avec le Niger, où elle a cherché à s’ingérer dans la transition en cours depuis le renversement, en juillet 2023, du président Mohamed Bazoum par le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Les rappels d’ambassadeurs sont, à cet égard, légion en ce moment entre Alger, d’une part, et Bamako et Niamey, d’autre part.
Mais la précision qu’apporterait peut-être aujourd’hui Abdelmadjid Tebboune s’il avait encore l’occasion de commettre le laïus qu’Antony Blinken avait eu à subir -un peu plus de vingt six minutes, en tout et pour tout-, c’est que ce n’est pas seulement au Maghreb et dans son hinterland sahélien que l’Algérie est en difficulté. Pour ne citer que les crises ouvertes, celles où les gesticulations de la diplomatie algérienne se sont les plus vues au grand jour, on trouve, sans être exhaustif, l’Espagne, avec qui les relations ne se sont pas encore vraiment arrangées depuis que cette dernière a commencé à considérer, à partir de mars 2022, l’initiative pour la négociation d’un statut d’autonomie au Sahara marocain comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend autour de la région; les Émirats arabes unis, dont l’appui réaffirmé à l’intégrité territoriale du Maroc, au cours de la visite de décembre 2023 du roi Mohammed VI à Abou Dabi semble avoir constitué un point de non retour -le Haut conseil de sécurité (HCS) algérien l’avait, on s’en souvient, pris à partie lors de sa réunion du 10 janvier 2024, en pourfendant “les agissements hostiles émanant d’un pays arabe frère”-; et last but not least, la France, à la suite de la décision du président Emmanuel Macron, en date du 30 juillet 2024, de reconnaître la souveraineté du Maroc sur son Sahara dans le cadre de l’autonomie, “seule base pour aboutir à une solution politique, juste, durable et négociée”. Soit dit en passant, pour un pays qui s’offusque de se voir présenté comme partie prenante, on remarquera tout de même une trop forte récurrence, dans cette chronique, du dénominateur commun saharien.
Le paradoxe, dans tout cela, est que l’Algérie a bien tous les atouts pour émerger en tant que “force de frappe”. Financièrement du moins, grâce à sa manne pétrogazière, n’est-elle, in fine, pas mieux outillée que le Maroc, à un moment où c’est ce dernier qu’on voit pourtant s’imposer comme interlocuteur privilégié des grandes puissances dans la région? Pour légitimer un pouvoir militaire qui n’a plus raison d’être, les dirigeants algériens ont cependant choisi de diaboliser à tout-va, à commencer par le Royaume, exacerbant par là même la rhétorique de l’ennemi extérieur, et ainsi présenter l’armée comme la soi-disant seule garante de la survie de l’Algérie. Cela permet aujourd’hui à un Abdelmadjid Tebboune et, derrière lui, les généraux de rempiler, mais au change, les Algériens y perdent, indubitablement. Comme l’Algérie, et comme le reste de la région par ailleurs...