Les islamistes du PJD sur la pente descendante


Plus que jamais, le Parti de la Justice et du développment contesté


Le PJD a beaucoup perdu de sa superbe avec Saâd Eddine El Othmani. Même Abdelilah Benkirane n’échappe plus au feu des critiques

En février 2018, Saâd Eddine El Othmani, auréolé depuis moins de deux mois du poste de secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD), affirmait en ouverture du congrès de la jeunesse du parti islamiste (JJD) dans la ville de Salé que sa formation allait sortir victorieuse des prochaines élections législatives prévues en 2021 et qu’elle obtiendrait «la première place». Discours de circonstance ou y croyaitil vraiment? En tout cas, bien optimiste celui qui imagine le PJD sauvegarder sa place de première force politique du pays dans trois ans.

Incartade et démission
Car alors que déjà, au moment de cette intervention de M. El Othmani, le parti était en perte de vitesse depuis plusieurs mois, avec pas moins de dix défaites dans onze élections législatives partielles tenues depuis septembre 2017, la formation semble avoir encore plus perdu de sa superbe avec le boycott visant depuis le 20 avril 2018 les compagnies Afriquia, Centrale Danone et Sidi Ali. En effet, beaucoup de Marocains l’accusent d’avoir privilégié, depuis le début du boycott, les intérêts desdites compagnies plutôt que celles des citoyen(ne)s qui l’ont porté depuis novembre 2011 à la tête du gouvernement; ce qui n’est pas totalement infondé.

Le 6 juin, le ministre délégué chargé des Affaires générales et de la Gouvernance, Lahcen Daoudi, a, comme on le sait, présenté sa démission, après avoir participé la veille à un sit-in des employés de Centrale Danone devant le parlement à Rabat; incartade qui lui a valu même l’opprobre des siens, à telle enseigne que le secrétariat général du PJD exprimera dans le communiqué officialisant le départ de l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique «son refus de certaines déclarations et posts non conformes au règles et à la déontologie de la liberté d’expression émanant de certains militants».

Comment noyer le poisson
Il faut dire que pour nombre de ces militants, la coupe semble pleine; beaucoup ne se reconnaissent plus dans leur parti. «La lutte contre la corruption ne semble plus le mot d’ordre,» confie l’un d’eux. Bien sûr, le boycott, en soi, ne met pas tout le monde d’accord, puisque beaucoup sont d’avis qu’il semble receler des desseins politiques inavoués, en plus de menacer un pan important de l’économie nationale, notamment l’agriculture: 1,4 million de personnes vivant de l’industrie laitière pourraient, selon certaines estimations, se retrouver à la rue. Mais avoir raison ne prévient pas de tenir compte de l’opinion publique; chose qui a manqué au gouvernement El Othmani. Au contraire, l’Exécutif a enfoncé le clou et paradoxalement, dans le même sillage, les compagnies visées par le boycott, en qualifiant d’abord les boycotteurs -le 25 avril, par la voix du ministre de l’Économie et des Finances, Mohamed Boussaïd- d’«étourdis» (mdawikh, en darija), puis en les menaçant, le 10 mai, de poursuites judiciaires; s’en suivra une polémique telle que M. El Othmani demandera le 15 mai, au parlement, aux Marocains de «tourner la page».

Entre-temps, le PJD avait appelé le 13 mai à une marche nationale pour la Palestine, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la Nakba, mais peu de gens y avaient répondu présents. La panique est dès lors de mise dans les rangs islamistes, d’autant qu’en général, le conflit du Proche-Orient fait sortir les Marocains par milliers. «C’était une gifle pour nous tous,» reconnaît un membre du parti. Beaucoup avaient alors vu dans l’organisation de la marche une tentative de noyer le poisson, cependant que le mouvement de boycott battait son plein -suivi par quatre cinquièmes de la population à fin avril, selon un sondage du cabinet Averty. Mais tandis qu’on imaginait le PJD avoir déjà touché le fond, voilà donc l’affaire de M. Daoudi qui mine davantage sa crédibilité.

Départs et scissions
Certains estiment même que la césure est désormais irrévocable avec l’électorat. «Les gens ne viennent plus aux meetings, comme avant,» reconnaît notre source. Des départs, voire des scissions, ne sont pas à écarter, à l’image de ce qu’avait connu l’Union socialiste des forces populaires (USFP), également éprouvée par son passage au gouvernement, à la fin de l’alternance démocratique. Les membres de la JJD, proches de l’ancien secrétaire général du PJD et ancien chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, seraient les principales cibles du rappel à l’ordre du secrétariat général dans son communiqué sur la démission de M. Daoudi. Pour un parti qu’on dit généralement discipliné, la chose est pour le moins inhabituelle. S’agissant justement de M. Benkirane, lui aussi n’échappe plus au feu des critiques, surtout depuis sa position sur le journal électronique Chouf TV contre le boycott de Centrale Danone.

Si beaucoup appelaient de leurs voeux son retour pour redonner du peps aux troupes islamistes, il ne manque plus d’être rejeté, à l’instar de tous les autres «faucons» du PJD. Des partis comme le Parti authenticité et modernité (PAM) ou encore le Rassemblement national des indépendants (RNI) et l’Union constitutionnelle (UC) se tiennent entretemps fins prêts pour prendre la relève de la formation islamiste et éventuellement démentir les espoirs et les prédictions de M. El Othmani.

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