Sofia Alaoui: "Je veux faire un cinéma universel"


Avec un prix à Sundance en poche, Sofia Alaoui, jeune réalisatrice de 33 ans, revient sur sa vision d’un Maroc en mutation, l’identité, la confrontation des classes sociales et la religion dans “Animalia”, son premier long métrage ainsi que de son ambition internationale.

Vous venez d’être signée, fin août 2023, par la très réputée agence artistique William Morris Endeavor (WME). Pourriez-vous nous en dire plus sur ce partenariat?
C’est une étape cruciale pour ma carrière. Être représentée par WME, c’est comme obtenir un billet d’entrée à Hollywood. Ils ont le réseau, l’expérience et les ressources pour propulser une carrière à l’international. Tout en restant attachée à mes racines marocaines, vu que ma famille est installée ici, cette alliance me donne l’opportunité de collaborer avec des talents internationaux et d’envisager des projets qui transcendent les frontières. Ce qui est passionnant dans le cinéma d’ailleurs c’est qu’on peut travailler d’abord à distance, dans l’écriture par exemple, puis mener les projets partout dans le monde.

Est-ce qu’on peut dire que les Etats-Unis s’intéressent désormais à ce que le Maroc a à dire au plan cinématographique?
La curiosité américaine est indéniable. Mais je pense que ce n’est pas question de Marocain- pas Marocain. Mon dernier film, “Animalia”, est un film universel. Certes, le pitch se passe au Maroc mais il pouvait se passer n’importe où dans le monde. Aux Etats-Unis, on veut faire un cinéma universel, ni Marocain, ni Algérien. Et c’est ce que j’essaie de faire. A travers les agences que j’ai pu rencontrer avec mon manager Jérôme, c’est l’histoire du film surtout qui leur parlait. Pour le grand public aussi, ce qui touche vraiment c’est l’histoire, le jeu des acteurs, la direction artistique,… et “Animalia” est une “grounded science-fiction”, un film de science-fiction extrêmement réaliste, fort et riche. Et c’est ce qu’ils cherchent; des réalisateurs qui ont une vision d’auteurs mais qui peuvent aussi faire du cinéma un peu commercial.

Vos oeuvres explorent régulièrement la spiritualité et la connexion à la nature. Pourquoi ?
Ces thèmes font partie de mes questionnements internes depuis mes débuts. Le Maroc, avec ses vastes déserts, ses montagnes majestueuses et ses côtes interminables, a toujours été une source d’inspiration pour moi. Au-delà des paysages, il y a une spiritualité profonde qui résonne en moi. Dans notre monde moderne, où les distractions numériques sont omniprésentes, et la relation avec l’argent est très forte, je ressens le besoin impérieux de rappeler aux gens notre lien intrinsèque avec la nature et notre quête spirituelle commune.

Des médias étrangers décrivent le film comme étant provocateur pour le public marocain..
Oui, ce sont des remarques un peu clichés que j’ai eu de la part de journalistes européens qui ont une vision petite et stéréotypée des gens au Maroc, dans les pays arabes, etc. Ainsi, je tiens à clarifier que le film n’a pas été conçu comme une critique, mais plutôt comme une exploration mystique. Le film a été pensé principalement pour un public arabe, d’où sa projection prévue en Arabie Saoudite, au Qatar, en Égypte et au Maroc. L’approche du film vis-à-vis des questions religieuses a été méticuleusement élaborée, en collaboration avec des experts en religion, et nous avons bénéficié des conseils avisés d’un imam pour la fin du film. Il est à noter que le film a été financé par le Centre cinématographique marocain (CCM), avec le soutien du gouvernement marocain. Il ne peut donc pas être dans la provocation du public.

Comment caractériseriez-vous la dynamique actuelle du cinéma marocain?
Ce qui se passe actuellement au Maroc, en sport, en cinéma, dans la musique… est incroyable et j’en suis très fière. Cette année, Asmae El Moudir a fait un excellent documentaire, “La Mère de tous les mensonges”; Meryem Touzani avec “Le Bleu du caftan”,… Toutefois, on est encore trop dans les clichés, on n’est pas assez indépendants dans nos manières de penser et faire nos films, notamment avec certains festivals.

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