De “médecin des pauvres” à paria, le destin du professeur El Hassan Tazi a totalement basculé. Les détails d’une affaire qui n’en finit pas d’alimenter la chronique judiciaire nationale.
Ce n’est pas de sitôt que le professeur El Hassan Tazi et sa femme, Mounia, risquent de quitter Oukacha. Incarcéré depuis le 3 avril 2022 dans la célèbre prison de Aïn Sebaâ, le couple s’est finalement vu refuser, le 21 avril 2022, sa remise en liberté provisoire par la cour d’appel de Casablanca. Déjà une première demande de liberté provisoire a été rejetée le 14 avril 2022. Une surprise? Loin s’en faut: comme l’avait détaillé un communiqué du 4 avril 2022 de la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN), M. et Mme Tazi ainsi qu’une demi-douzaine de personnes arrêtées en même temps qu’eux sont poursuivis pour constitution d’une bande criminelle, association de malfaiteurs spécialisée dans la traite d’êtres humains, exploitation de la vulnérabilité des personnes à des fins commerciales, escroquerie dans les traitements médicaux, falsification de factures de traitement et de dossiers médicaux, blanchiment d’argent et usurpation de fonction. Des faits à tout le moins suffisamment graves pour que le juge d’instruction préfère les garder en détention. En plus, chaque jour apparaissent de nouveaux éléments qui les enfoncent plutôt qu’ils ne les servent.
Traite d’êtres humains
Selon les dernières informations fuitées dans la presse, le secrétaire général du Parti de l’Istiqlal (PI), Nizar Baraka, celui du Parti du progrès et du socialisme (PPS), Mohamed Nabil Benabdallah, le wali de Bank Al-Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri, et le président du Conseil de la concurrence, Ahmed Rahhou, feraient également partie des nombreuses victimes de M. Tazi et se seraient eux aussi vu contacter par ses collaborateurs de la clinique Achifaa pour faire des dons pour financer des opérations de chirurgie esthétique surfacturées voire fictives. On parle notamment de montants qui auraient atteint les 200.000 dirhams par jour pendant près de quatre ans; chiffre qui reste bien sûr à être confirmé. Mais comment se fait-il alors qu’une personnalité aussi en vue ait pu passer autant de temps sous les radars (possiblement, présomption d’innocence oblige)? Car il faut dire que sa seule page Facebook M. Tazi compte près de 2,8 millions de followers, qui avaient notamment coutume d’y suivre en direct les opérations qu’il effectuait.
De plus, il lui était rare de refuser une sollicitation de la part des médias, à qui il ne manquait pas d’ouvrir son luxueux domicile du quartier de Californie. Est-ce sa réputation de “médecin des pauvres” qui l’a servi? M. Tazi était en effet connu pour ne pas se faire rétribuer en échange de ses coups de bistouri auprès des catégories de la population les moins aisées, notamment lorsqu’il s’agissait d’affaires dramatiques fortement médiatisées. Dans la foulée de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire en mars 2020 consécutivement au recensement des premiers cas de Covid-19 au Maroc, il avait, en outre, mis à la disposition de l’État la clinique Achifaa, ce qui lui avait notamment valu un wissam royal de mérite national de classe exceptionnel. Aussi, autre point qui a sans doute bénéficié à M. Tazi pour le laver de tout soupçon vis-à-vis des donateurs: sa piété. Ayant déjà effectué, avec sa femme, le pèlerinage du Hajj à la fin des années 2000, il est surtout un membre très en vue de la Boutchichiya.
Coups de bistouri
L’ancien guide de la confrérie, à savoir Sidi Hamza, avait, de son vivant -il est mort en janvier 2017-, une relation quasiment familiale avec M. Tazi, à telle enseigne que c’est vers lui que ce dernier s’était tourné avant de faire carrière dans la médecine esthétique car il n’était pas sûr de son caractère licite, et il avait également consulté le cheikh en même temps que sa propre mère avant de se marier.
Une relation commencée dans les années 1960 à Oujda, à une époque où la famille Tazi, originaire de Fès, était encore installée dans la capitale de l’Oriental, à une soixantaine de kilomètres seulement de Madagh, siège historique de la Boutchichiya, et qui s’est prolongée lorsque Tazi père, commerçant de métier, avait décidé d’émigrer en 1969 à Casablanca et d’y emmener sa femme et ses onze enfants, dont M. Tazi. En 2000, M. Tazi avait notamment fait jouer ses réseaux en France, où, à Montpellier, il avait été diplômé en 1988 en chirurgie plastique esthétique et microchirurgie réparatrice, esthétique et cosmétique, pour que Sidi Hamza puisse se faire greffer une nouvelle cornée, la sienne étant malade -opération qui, soit dit en passant, avait été prise en charge par le roi Mohammed VI en personne.
En tout cas, on peut comprendre que MM. Baraka, Benabdallah, Jouahri et Rahhou aient pu se faire piéger, même si, selon des sources consultées par Maroc Hebdo, c’est une autre personnalité non moins connue mais beaucoup plus discrète qui aurait déclenché l’affaire, à savoir Soukaina Akhannouch, PDG du groupe AKWA et qui, on l’aura compris, n’est autre que la fille du Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch. Connue pour ne pas être regardante à la dépense dès lors qu’il s’agit d’oeuvres de bienfaisance, elle accepte illico lorsque la clinique Achifaa la contacte pour aider à financer des soins que des enfants dans le besoin nécessitent et dépêche son propre chauffeur pour remettre une enveloppe de plusieurs milliers de dirhams. Elle réitère l’opération à plusieurs autres reprises, donnant des sommes estimées entre 25.000 et 30.000 dirhams, mais non sans que ses soupçons ne commencent à être éveillés, car quand elle lui pose la question son chauffeur lui répond que ses interlocuteurs de la clinique Achifaa lui demandaient de verser l’argent sur leurs comptes personnels. Ou, plus précisément, son interlocutrice: Zineb B., une figure associative qui s’est fait connaître à Casablanca en réussissant à collecter de l’argent pour des familles pauvres de la ville blanche qui leur permettait de subsister.
Un modèle de réussite?
C’est dans ce cadre qu’elle aurait, ainsi, fait connaissance avec Mme Tazi, qui l’aurait convaincue de l’aider de façon sporadique à décrocher des financements pour les opérations que la clinique Achifaa effectuait avant que la chose ne prenne, à partir de 2018, une proportion industrielle, dans la mesure où Mme B. aurait commencé à bénéficier d’un intéressement automatique de 20% pour chaque montant qu’elle aurait réussi à décrocher, et, à l’évidence, elle en aurait décroché à la pelle.
Outre les personnalités suscitées, le PDG de Marjane Holding, Ayoub Azami, le PDG de Cooper Pharma, Ayman Cheikh Lahlou, le responsable du département des relations internationales de BAM, Anis El Youssoufi, ou encore le directeur général du groupe Rahal, Kamal Rahal Essoulami. Après que la DGSN se soit fait signaler les suspicions de Mme Akhannouch, les investigations auraient été lancées sur le champ du fait de l’argent en jeu, et rapidement il se serait avéré que non seulement une partie des dons allait directement dans les caisses de M. Tazi et de ses complices présumés, mais que beaucoup de dons auraient, en vérité, été recueillis sans que les patients en sachent quelque chose et que donc leurs informations personnelles auraient été utilisées à leur insu, et des dossiers auraient même été créés ex nihilo, avec notamment l’implication du responsable administratif en charge du recouvrement des intérêts et frère, soit dit en passant, de M. Tazi, Abderrazak Tazi, lui aussi aux arrêts à Oukacha.
Dans la haute société casablancaise, dont les Tazi sont depuis plus de trente ans partie intégrante, le moins que l’on puisse dire est que le choc a été de mise, du fait de l’image frisant la perfection que le couple y avait. Mais c’est surtout parmi ses suiveurs que la pilule a dû mal à passer: M. Tazi comptait, pour le moins, de nombreux admirateurs, qui voyaient en lui un modèle de réussite, et c’est sans doute ce qui vaut à l’affaire d’être autant médiatisée; comme si c’était l’inimaginable qui se serait produit. Il faudra bien sûr que la justice dise encore son mot et peut-être qu’au final elle innocentera M. Tazi et sa femme, mais quoi qu’il en soit l’instruction, au vu des données disponibles, s’annonce très longue. De même que les journées qu’ils doivent actuellement passer à Oukacha...