Les affrontements ayant émaillé le démantèlement des installations de migrants en situation irrégulière à Casablanca, sont venus rappeler la réalité violente que représente désormais le phénomène migratoire au Maroc.
Le Maroc n’est peut-être pas, comme le soutiennent régulièrement les responsables nationaux, le gendarme de l’Europe. Mais il en est apparemment bien les forces auxiliaires et la police. Ce lundi 16 janvier 2023 dans la ville de Casablanca en tout cas, celles-ci sont pour la quatrième fois en moins d’un an, la première depuis septembre 2022, encore intervenues dans les environs de la gare routière de Ouled Ziane, dans le quartier éponyme, pour en déloger les migrants en situation irrégulière qui y sont installés. Une opération qui a surtout fait parler d’elle dans les médias et sur les réseaux sociaux en raison des scènes de violences qui s’en sont suivies. Refusant de quitter les lieux, un groupe de migrants s’en est, comme beaucoup l’ont sans doute suivi, directement pris aux éléments des forces de l’ordre, leur jetant des pierres et dégradant, au passage, plusieurs biens publics.
En longeant à ce moment la voie de tramway en construction sur le boulevard également appelé Ouled Ziane, situé à proximité, on se serait sans doute cru en plein théâtre proche-oriental. Dans la foulée, six migrants ont été arrêtés et ont d’ores et déjà été présentés devant le juge. Ils risquent d’écoper de plusieurs années de prison. Pour violents qu’ils soient, les actes dont on les accuse restent toutefois anecdotiques en comparaison avec ceux enregistrés lors d’autres opérations de démantèlement menées dans le passé: en décembre 2017, un policier avait même été grièvement blessé et avait dû être admis en urgence à l’hôpital Ibn-Rochd -un élément de la police a également été touché par les jets de pierre de migrants lors du démantèlement du 16 janvier 2023, quoique de façon plus légère, en plus de dommages portés à cinq véhicules appartenant aux forces de l’ordre, selon un communiqué en date du lendemain de la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN).
Sur fond d’une rixe entre migrants guinéens et maliens relative, selon l’enquête menée postérieurement, au vol d’un téléphone, ce sont les migrants eux-mêmes qui par la suite, en juin 2019, avaient failli voir leur bilan humain alourdi, puisqu’un incendie avait fini par éclater et, ravivé par la vingtaine de bonbonnes de gaz détenues par les migrants et qu’ils utilisaient pour leurs besoins journaliers, avait ravagé une grande partie du campement de fortune qu’ils avaient improvisé dans un terrain de football adjacent.
Sit-in de protestation
A vrai dire, les migrants de Ouled Ziane sont devenus, au fil des années, un véritable marronnier, occupant l’espace médiatique national et même, par occasions, international avec une ténacité digne de celles des migrants eux mêmes à vouloir mener leur périple migratoire à bout. Et dont, pour des raisons qu’il y a lieu de détailler extensivement, ils doivent subir l’arrêt, qu’ils espèrent le plus court possible, à Ouled Ziane. “On ne veut pas rester ici, nous,” se défend, ainsi, un migrant que les journalistes de Maroc Hebdo, allés en reportage sur place, sont parvenus à interroger (visiblement encore échaudés, la plupart des migrants ont, toutefois, préféré ne pas donner suite à nos questions). “Nous ce qu’on veut, c’est qu’on nous laisse continuer notre bout de chemin.”
Propos que l’on retrouve également auprès… de certains riverains, dont on sait que beaucoup refusent la simple présence des migrants: une semaine jour pour jour avant l’opération de démantèlement, c’est-à-dire le 9 janvier 2023, des dizaines d’entre eux avaient d’ailleurs tenu, et ce en face même des lieux d’installation des migrants, un sit-in de protestation, auquel l’intervention des autorités semblent justement avoir constitué une réponse directe. Leur principal grief, l’insécurité, puisqu’ils mettent en cause les migrants dans des actes observés à ce niveau. “Nous ne pouvons plus nous attarder hors de chez nous le soir de peur d’être agressés, nos femmes et nos filles sont constamment harcelées et risquent d’être violées,” avait par exemple assuré un riverain à un journaliste de Maroc Hebdo qui s’était rendu à Ouled Ziane pour couvrir le sit-in. Il faut toutefois dire que ces assertions restent difficiles à étayer et peuvent même, dans certains cas, donner lieu à la propagation de “fake news”.
Un racisme décomplexé
On se souvient qu’en mai 2022, un grand nombre de médias nationaux avaient par exemple repris, sans vraiment prendre de précaution, l’information du kidnapping d’une adolescente de 13 ans par un prétendu “gang” de Subsahariens en situation irrégulière, avant qu’il ne s’avère qu’il ne s’agissait que d’une simple fugue dans laquelle aucun migrant n’avait ni de près ni de loin trempé. Ce qui avait par la suite amené une partie de la société civile à dénoncer la manifestation d’un racisme décomplexé que s’offusquent, soit dit en passant, de porter les habitants de Ouled Ziane opposés aux campements quand on leur pose la question -“nous voulons des solutions aussi bien pour nous que pour les migrants,” avait, ainsi, insisté auprès de Maroc Hebdo un riverain lors du sit-in précité.
En même temps, nous avons cru comprendre, à partir de différents autres témoignages que nous avons pu recueillir, que la présence des migrants n’était pas nécessairement vécue de façon aussi dramatique que d’aucuns la dépeignent mais que beaucoup de migrants semblent même plutôt intégrés dans le tissu local, étant même pris en sympathie par un certain nombre de riverains qui, de temps à autre, leur offrent même de la nourriture. Quoiqu’il en soit, il est clair que la simple décence humaine ne saurait tolérer l’idée d’une persistance des campements.
Recrudescence des flux de migrants
Et en elles-mêmes, les opérations de démantèlement ne représentent pas davantage qu’une réponse temporaire, par ailleurs absurde tellement elle comporte une dimension éminemment sisyphéenne… Sans compter que l’image du Maroc s’en trouve grandement écornée auprès des pays d’Afrique subsaharienne, dont proviennent les migrants concernés, en dépit des efforts pourtant indéniables qu’il a déployés au cours des dix dernières années depuis surtout l’adoption de la nouvelle stratégie nationale de l’immigration et de l’asile (SNIA) en décembre 2014 par les autorités. A ce titre, ce sont par exemple quelque 50.000 migrants qui, en deux vagues lancées en 2014 et 2017, avaient vu leur situation régularisée.
Pour se faire un ordre d’idées, le chiffre en question représente plus de la moitié du total des étrangers qui, au moment du dernier recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de septembre 2014, disposaient de papiers en règle -84.000, exactement. Dans l’ensemble, la politique migratoire marocaine a tellement été empreinte de succès qu’elle a valu au Maroc d’accueillir la signature, en décembre 2018 dans la ville de Marrakech, du pacte mondial pour les migrations, tandis qu’au niveau continental, le roi Mohammed VI occupe depuis juillet 2017 la position de leader de l’Union africaine (UA) sur les questions migratoires; c’est à ce titre que le Souverain avait d’ailleurs proposé de mettre en place un Observatoire africain pour les migrations (OAM) dont, au passage, le siège se trouve depuis son inauguration en décembre 2020 dans la capitale, Rabat. Faudrait-il, pour des raisons de politique et d’image, se lancer dans une troisième vague de régularisation, quitte à ce que cela ait pour effet éventuel d’encourager la migration irrégulière à destination du Maroc?
Peut-être, mais ce serait faire l’impasse sur la principale raison qui a par exemple amené à la réapparition de campements à Ouled Ziane, à savoir l’impossibilité pour les migrants de pouvoir se rendre en Europe, eux qui ne semblent en fait pas chauds à l’idée de demeurer sur le sol marocain. Car alors que l’incendie de 2019 les avait presque fait disparaître, ces campements ont commencé à proliférer de nouveau au moment même où le Maroc serrait la vis à sa frontière avec Sebta et Mélilia, c’est-à-dire en avril 2022. En contrepartie de la reconnaissance implicite par l’Espagne de la souveraineté du Royaume sur son Sahara, traduite par le fait qu’elle commence à considérer l’initiative pour la négociation d’un statut d’autonomie comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend autour de la région, les autorités marocaines sont en effet intervenues pour essayer de réduire les tentatives de migration irrégulière vers les présides occupés par la voisine du nord.
Actions violentes
Par ailleurs, de plus en plus de migrants seraient, selon les observations de plusieurs associations spécialisées, reconduits vers des villes plus au sud, comme justement Casablanca et même jusqu’à Chichaoua, dans la région de Marrakech-Safi, et c’est à partir de là qu’ils finiraient par se réunir dans des campements comme celui de Ouled Ziane. Le 3 janvier 2023, le ministère de l’Intérieur espagnol se félicitait, ainsi, qu’en 2022 les arrivées de candidats à la migration irrégulière aient baissé de 25,6%, en grande partie grâce au Maroc, qui sur la totalité de l’année concernée aurait empêché pas moins de 40% des départs depuis son territoire, notamment aussi au niveau de l’archipel de Canaries.
Beaucoup de connaisseurs ne manquent toutefois pas de relever que cette “prouesse” sécuritaire, si l’on peut l’appeler ainsi, a aussi eu pour effet direct d’augmenter les actions violentes de la part des migrants: ce qui s’est passé à Ouled Ziane en offre un exemple éloquent, mais on repensera surtout, également, à l’assaut du 24 juin 2022 de Mélilia par un groupe de quelque 2.000 migrants lors duquel 22 d’entre eux ainsi qu’un élément des forces de l’ordre marocaines avaient péri. Ce dernier événement avait, pour rappel, valu une très mauvaise publicité au Maroc, puisque le Conseil de sécurité lui-même s’en était saisi cinq jours plus tard lors d’une réunion à huis clos où, heureusement pour lui, le Royaume avait pu compter sur l’appui des États-Unis, qui doivent par ailleurs eux-mêmes faire face au phénomène de la migration irrégulière à leur frontière avec le Mexique.
En tout cas, les autorités marocaines semblent en être ressorties avec la conviction qu’il fallait faire montre de davantage d’intransigeance, et on les a d’ailleurs vues par la suite démanteler plusieurs réseaux ayant voulu rééditer l’assaut de Mélilla, comme le 19 octobre 2022 dans la ville d’Oujda où la police avait arrêté deux Subsahariens en passe d’organiser le passage de cinquante-cinq candidats à la migration irrégulière, dont 13 mineurs, dans le préside occupé. Au passage, on relèvera que tous ces candidats, de nationalité soudanaise, tchadienne et algérienne, étaient entrés sur le territoire marocain par le biais de l’Algérie, et, à ce propos, une grande partie de l’establishment sécuritaire national semble absolument convaincu que la voisine de l’Est est au moins complice passive dans la recrudescence des flux de candidats à la migration irrégulière à destination du Maroc: il faut dire que jusqu’à la décision de l’Espagne relative au Sahara marocain, ces flux auraient, statistiquement, stagné.
Recrudescence des flux de migrants
De toute façon, seule la frontière maroco-algérienne demeure encore poreuse, suite au renforcement des contrôles avec la Mauritanie ainsi qu’au niveau des aéroports, par lesquels arrivaient aussi certains candidats à l’émigration irrégulière qui profitaient de la non-imposition de visas aux pays dont ils sont ressortissants (les citoyens de Côte d’Ivoire, de la Guinée et du Mali doivent par exemple, depuis novembre 2018, demander une autorisation électronique préalable avant de se rendre au Maroc). Ceci remet par ailleurs sur le tapis le fait que la question de la migration ne saurait dépendre des efforts d’un seul pays, aussi généreux puisse-t-il être; au niveau de l’Europe, il faudra, ainsi, faire bien plus que se contenter de donner de l’argent pour surveiller les frontières communes, comme ses autorités semblent encore le prévoir pour les années à venir en déboursant une somme de 500 millions d’euros qui serait supérieure de plus de 30% à celle débloquée au cours de la décennie écoulée. Si même les forces auxiliaires et la police réunis n’y peuvent rien…