L'IMA consacre une exposition à Larbi Ben M'Barek

Hommage posthume à la perle noire

Le peuple du foot n’oublie pas les matchs à gros enjeux; mais il semble avoir la mémoire courte pour ceux qui font le jeu. D’où l’intérêt de l’exposition de l’Institut du monde arabe, dédiée à Larbí Ben M’Barek.

On a rarement vu une personnalité sportive, aussi illustre soit-elle, traverser les générations, défier l’usure du temps et l’oubli. Mohamed Larbi Ben M’Barek est dans ce paramètre. L’icône du football marocain et international sera le clou de l’exposition que l’Institut du monde arabe (IMA) organise du 10 avril au 21 juillet 2019, dans son siège à Paris. Le choix de Ben M’Barek est d’autant plus pertinent qu’il recoupe une réalité historique. Les plus jeunes adeptes du ballon rond ont certainement entendu parler de ce personnage hors du commun des footballeurs, voire même des élites consacrées.

Issue salvatrice
Il avait tellement marqué son époque ici même et partout ailleurs que les manuels scolaires français de philosophie en faisaient une parfaite illustration de la partie psychologie du programme. Les adolescents de cette filière littéraire s’identifiaient volontiers à Ben M’Barek. Difficile de trouver meilleure démonstration de l’impact social d’un footballeur exceptionnel.

Il n’en demeure pas moins que l’on pourrait se demander ce que vient faire le foot dans une institution fondamentalement culturelle, l’IMA. Aussi vrai que le corpus sportif, dans toutes ses dimensions et ses modes d’expression, est une culture; surtout dans sa version bruyante et chahuteuse. La définition de la culture a toujours posé problème à l’intelligentsia de France et de Navarre. La meilleure de toutes les approches reste la plus simple: «la culture, dit-on, c’est ce qui reste lorsqu’on a tout oublié».
Les éclectiques en tout genre ont dû se rendre à l’évidence. On oublie tout sauf un match de foot mémorable, à gros enjeux nationaux ou mondiaux. Voilà un Larbi Ben M’Barek quasi analphabète qui s’exprime ballon au pied et se fait comprendre par le public partout dans le monde.

Dextérité désopilante
C’est sur un terrain vague et populeux, comme il n’en existe plus, au quartier Cuba de Casablanca, que Larbi Ben M’Barek a été repéré. En clair, un milieu social où il n’y avait d’issue salvatrice que par ce que l’on sait faire le plus. Le football n’était pas encore considéré comme un métier où l’on pouvait gagner décemment sa vie. Ben M’Barek avait 14 ans, avec une dextérité désopilante, il se jouait et du ballon et des autres. Les sergents recruteurs du foot avaient vu en lui un prodige en herbe. Ils ne se sont pas trompés. Il était destiné à la menuiserie, le métier d’un père pas toujours présent. Une absence qui marquera Ben M’Barek depuis sa prime enfance.

Nous sommes dans les années 1930; les petites équipes de quartiers se l’arrachent; jusqu’à ce qu’il s’engage dans les rangs de l’USM (Union sportive marocaine), un grand club maroco-français, triple vainqueur du championnat d’Afrique du nord. Pour la première fois de sa vie, il perçoit un salaire et apprend à vivre du foot.

La carrière internationale de Larbi Ben M’Barek commence un 20 juin 1938. Il entame la plus longue carrière jamais signée par un joueur sous le maillot frappé du coq. Pas français de nationalité, il est quand même retenu pour la sélection tricolore. La petite histoire retiendra qu’il refuse des chaussures à crampons dont il n’a pas l’habitude. Il préfère jouer en savate. Le périple européen de Ben M’Barek l’emmènera en Espagne sous le maillot de l’Atletico de Madrid. Il perçoit pour ce transfert la coquette somme de 17 millions de francs. Ben M’Barek devient millionnaire, sans que son nouveau statut social n’affecte son mode de vie et son code de conduite. Ceux qui l’on côtoyé relèvent chez Haj Larbi deux marqueurs déterminants; la religion et la retenue à la dépense. Aucune des cinq prières par jour ne lui échappe; de même qu’il y réfléchit à deux fois, avant de sortir ses sous à l’air libre. Ses amis les plus ou moins proches se régalent d’un train de vie déterminé par ce qu’ils considèrent comme de l’avarice. Dans la vie de la «Perle noire», titre du film qui lui est consacré; Il n’y a pas que des zones d’ombre, suite au décès de ses deux femmes successives et de ses trois enfants. Il y a aussi des éclaircies de bonheur intenses, jamais trop loin des stades et des matchs de foot.

Les analyses du jeu de Ben M’Barek attirent un grand nombre de commentateurs où tout le monde se découvre super expert. Il en ressort que Ben M’Barek est un magicien du ballon rond, une sorte de prestidigitateur qui fait du foot un art accompli. Plus terre à terre, Ben M’Barek était un milieu offensif. Il construit des attaques, déléguant la finition à un attaquant de pointe; lorsqu’il ne fait pas en sorte que le finisseur soit lui-même.

Statut social
Pelé, autre figure mythique du foot à l’échelle internationale disait «si je suis le roi du football, Ben M’Barek en est le Dieu». Dans un monde où les moyens de communication étaient à la fois insuffisants et rudimentaires, ce témoignage a valeur d’une montagne de perles rares.

Aussi triste que soit la fin d’une vie tout en gloire, Haj Larbi Ben M’Barek a fini dans l’oubli, au point que l’on ne s’est aperçu de sa mort, le 16 septembre1992 à Casablanca, qu’une semaine après, dans la plus grande des solitudes. Si le peuple du foot n’oublie pas les matchs, il semble avoir la mémoire courte pour ceux qui font les matchs. D’où l’intérêt de l’exposition de l’Institut du monde arabe, dédiée à M’Barek.

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