Vous avez tous suivi ce qu’il s’est passé samedi dernier à Tétouan. Je me rendais ce soir-là à Rabat pour voir des ami-e-s et assister au show de Majid Bekkas, l’un des pionniers de la musique Gnawa au Maroc. D’ailleurs, le premier, à mon avis, qui a ouvert une brèche pour une fusion jazz/patrimoine musicale africain. Nous étions en «transe», ambiance «hadra» et «derdba» et voilà un gus qui me montre une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux où on voit des supporters jeter des pierres sur les éléments des forces de l’ordre à proximité du stade. Entre-les propos des uns et des autres, personne n’a eu le dernier mot. Même si, on ne peut avoir le dernier mot car sans enquête auprès des protagonistes, toute conclusion est vaine. On est resté sur le fait d’avoir empêché les supporters d’entrer faute de billets est l’élément déclencheur.
Là encore un point d’interrogation sur la gestion du spectacle. Mais j’aimerai bien que tout d’abord, donner une autre piste pour comprendre généralement les raisons de la violence en bande dans ses incidents qui relèvent du «hooliganisme » et répondent initialement à des attentes personnelles «ici le refus d’accès au stade» tout en étant associées à la fois au groupe. Celles-ci pourraient être résumées ou expliquées par deux motivations : la quête de plaisir et la quête de prestige. Je m’explique : la quête de plaisir que l’acte violent et brutal peut engendrer; et l’estime de soi et la fierté rehaussée par le recours à la violence surtout à l’égard des symboles de l’autorité.
Quand je vois des scènes de violence gratuite, je pense automatiquement à la mise en scène de Stanley Kubrick dans Orange Mécanique. Il avait fait un lien fin entre la violence gratuite d’une bande de jeunes marginaux et la quête du plaisir de porter des coups à leurs antagonistes. Seul le plaisir de l’acte compte et non le sens qu’on lui donne. Une espèce de séduction de la violence s’empare de celui qui la pratique. Il existe un plaisir qui anime alors les participants. Notamment, il y a le plaisir de braver la peur et l’autorité et son corolaire : le frisson de l’interdit. Les stimuli de la rue ne manquent pas : le bruit, le feu et les cris et si nous ajoutons à cela l’effet des psychotropes et la colère qui s’empare des supporters en déplacement privés d’assister au match, cela donne un cocktail Molotov qui peut exploser à n’importe quel moment et à n’importe quel endroit. Les acteurs en quête de visibilité ne résistent pas à la tentation de s’adonner à une violence jugée par eux-mêmes peu coûteuse. Et qui peut améliorer le rang de ceux qui la pratiquent.
Ainsi, nous parlons de la deuxième motivation qui réside dans la recherche d’une amélioration du statut et du prestige au sein du groupe. Ce genre de scène de violence sporadique n’a pas d’enjeu clair ni économique, ni politique, ni social mais plutôt lié à des phénomènes de marginalisation ou de discrimination. Elle pourrait être même un levier de l’estime de soi pour des personnes ordinaires. Ceux qui s’y adonnent bénéficient d’une ressource de distinction. Ils sortent de l’anonymat et renvoient une image valorisante d’eux-mêmes. Car ils ont le pouvoir de faire peur et suscitent la crainte auprès des autres. Les «hooligans», même si je l’utilise que génériquement pour vous, se donnent ainsi une image éphémère et illusoire de fierté. Ne me demandez surtout pas ce que je pense vraiment des hooligans, car je risque m’exprimer dans un vocabulaire qui n’aurait pas sa place dans une tribune…. Quant au remède, il n’existe pas de solution facile pour éradiquer ce phénomène qui demeure «un jeu, une sorte de taquinerie», selon le sociologue Dominique Bodin, instaurée par des supporters qui trouvent dans le chahut une unité, une complicité et une sorte de défoulement dionysiaque.
On évoque les petits faits bénins et les incivilités, qui débouchent sur des affrontements plus violents, des «effets de spirale» comme l’a indiqué Wesley Skogan dans son incontournable publication «Desordre and Decline: Crime and the spiral of Decay in Americain Neighbourhoods». Je me demande souvent ce qu’il se passe dans la tête de ces guerriers des week-ends pour se mettre ainsi en scène et chercher une visibilité via la violence et non en utilisant d’autres formes d’expression plus pacifiques et conformes aux normes sociales. A mon avis, il est urgent de voir du côté de la société, son homogénéité, les formes de sociabilité des composantes et leurs manières d’être ensemble ou du moins d’une partie de la société stigmatisée en permanence et qui vit à la marge.