L'incroyable histoire de deux soeurs marocaines arnaquées par leur père

Un Casablancais a simulé un mariage en bonne et due forme et refuse de reconnaitre ses enfants

En attendant une jurisprudence qui tienne compte de la situation exceptionnelle des deux soeurs, le père biologique mène sa vie le plus normalement du monde.

C’est une histoire pas comme les autres. Une histoire profondément triste, à pleurer à chaudes larmes. Deux jeunes soeurs marocaines, Leila et Nadia, 29 et 26 ans, pleines de vie, sont nées d’un mariage qui était censé respecter toutes les procédures d’une relation normale et authentique. Leur maman se marie en 1992 avec un riche notaire, A. H., à Casablanca. Déjà marié et ayant des enfants de son premier mariage, comme de son troisième et actuel mariage, l’homme issu de la bourgeoisie casablancaise, allait plonger les deux jeunes filles et leur maman dans un enfer indescriptible.

Après avoir mis au monde ses deux petites filles, la maman découvre que ce mariage n’en était pas un et que son mari avait manigancé un plan diabolique à l’aide de deux adouls marocains qui ont rédigé un faux acte de mariage. On se demande comment ce célèbre notaire, riche propriétaire terrien, s’est autorisé cette grosse arnaque pour priver ses propres filles de leur droit à porter son nom et à bénéficier de l’intégration familiale dont rêve tout enfant qui vient dans ce monde? Commence alors pour cette maman et ses deux filles une vie difficile avec un regard accusateur intolérable de la société et une situation administrative pour le moins compliquée.

Le mariage qui n’en était pas un
La maman, qui ne pense naturellement qu’à l’avenir de ses deux filles, mène ainsi un combat judiciaire inlassable pour pouvoir obtenir la reconnaissance du père. Mais les procédures judiciaires longues, le poids lourd de l’administration marocaine et la complexité des démarches ont souvent constitué des obstacles sur le chemin de cette femme courage, qui devait en plus assumer sa responsabilité éducative envers ses deux filles et son travail pour pouvoir subvenir à ses besoins matériels.

Nadia, l’ainée, raconte qu’elle a vécu avec le nom de son père biologique jusqu’à l’âge de 20 ans. Mais seulement grâce à un semblant d’acte de naissance que le père leur donnait et qu’il pouvait se procurer par on ne sait quel moyen. Un document qui ne permettait pas d’avoir accès à certains droits, notamment avoir un passeport. Pendant sa scolarité primaire et secondaire jusqu’au bac, les choses se sont passées pour elle plus ou moins normalement. Mais à partir du bac et pour pouvoir s’inscrire aux études supérieures, Nadia est confrontée à l’exigence administrative marocaine d’apporter un acte de naissance intégral.

Document impossible à produire, l’acte de mariage n’existant pas. Sa maman se retrouve alors obligée de lui transmettre son nom de famille pour qu’elle puisse s’inscrire à l’état civil et obtenir ainsi cet acte de naissance intégral. Nadia réussit ainsi à entrer à l’université marocaine, mais raconte, en revanche, avoir vécu des années difficiles pendant ses années universitaires au Maroc. Mais la disparition de sa maman en 2012, des suites d’une terrible maladie, alors qu’elle n’avait que 20 ans, a été, sans aucun doute, le plus grand choc de sa vie. Emue, elle parle d’une maman exceptionnelle, forte, courageuse, qui a donné de son temps, de son énergie, et de son affection pour compenser l’absence d’un père qui n’a jamais cherché à se rapprocher de ses deux filles.

Une décision incompréhensible
Nadia et sa soeur n’ont vu leur père, en tout et pour tout, que quelques rares fois. «Sincèrement, on ne cherche pas à le voir ni à le rencontrer parce que lui aussi ne fait aucune démarche pour nous voir», se désole Nadia. A la mort de la maman, les deux soeurs trouvent un soutien incroyable et profondément généreux de la part de leur oncle maternel qui les a entourées de toute son affection. Les deux soeurs trouvent dans cette famille merveilleuse un havre de paix et un climat exceptionnel où elles se sont épanouies pour concrétiser leurs ambitions.

C’est d’ailleurs à ce moment qu’elles ont décidé d’abandonner les procédures judiciaires et ont pris le nom de famille de leur mère. Grâce à ce soutien financier et moral, les deux soeurs ont pu poursuivre avec succès leurs études supérieures en France. Nadia est devenue juriste et sa soeur travaille dans le monde de la communication. Les portes de la réussite professionnelle leur sont grandes ouvertes, aidées par leur talent et leur force de caractère. Mais, malgré tout cela, elles vivent toujours avec un sentiment d’abandon et d’incompréhension, voire d’injustice.

Un sentiment qui pèse lourd sur leur moral et sur leur vie et qui devait normalement être résolu par une justice marocaine qui vient de rendre, à la surprise générale, à travers la Cour de Cassation, une décision incompréhensible par laquelle elle ne reconnait pas aux enfants nés hors mariage les liens de parenté et de paternité avec leur père biologique. «Je suis profondément déçue de cette décision car c’est la preuve que ça n’avance pas», estime Nadia.

En attendant une jurisprudence qui tient compte de la situation exceptionnelle des deux soeurs, le père biologique mène sa vie le plus normalement du monde comme si de rien n’était. Mais le poids de la faute, voire de l’arnaque doit probablement peser sur sa conscience. L’avenir doit certainement lui réserver de bien mauvaises surprises.

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