La rocambolesque histoire de Brahim Ghali en Espagne

RABAT ET MADRID AU BORD DE LA RUPTURE

Jamais les deux capitales ne se sont aussi gravement opposées au point où la diplomatie marocaine brandit pour la première fois une rupture des relations diplomatiques avec un voisin considéré depuis de longues années comme un partenaire stratégique.

L’entrée comme la sortie du chef des séparatistes, Brahim Ghali, du territoire espagnol ressemble assurément à un polar à rebondissements qui aura provoqué l’une des crises les plus graves entre Rabat et Madrid.

Jamais les deux capitales ne se sont aussi gravement opposées au point où la diplomatie marocaine brandit pour la première fois une rupture des relations diplomatiques avec un voisin considéré depuis de longues années comme un partenaire stratégique. Mais voilà que les choses ont brutalement mal tourné. Comme il y est entré, le chef des milices du Polisario a quitté discrètement l’Espagne, le mercredi 2 juin 2021, à bord d’un avion de fabrication française, affrété par l’Algérie.

L’avion sanitaire, en provenance de Bordeaux, a décollé de l’aéroport de Pampelune, dans le nord du pays, vers 1h40 du matin, heure de Madrid, vers Alger. Brahim Ghali est arrivé à 3h10 à l’aéroport militaire de Boufarik, à quelques kilomètres d’Alger, pour être transféré à l’hôpital d’Ain Naaja, où il est admis pour recevoir les soins complémentaires.

Au matin de son arrivée, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, et le chef de l’Etat major, le général Saïd Chengriha, lui rendent visite. La vidéo de cette visite a été diffusée par la télévision officielle algérienne dans une ultime provocation à l’adresse du Maroc. Le départ de Brahim Ghali est intervenu après la décision du juge espagnol, Santiago Pedraz –qui l’a entendu mardi 1er juin, par vidéoconférence, dans le cadre de deux plaintes le visant pour «tortures » et «génocide»– de ne prendre aucune mesure coercitive à son encontre, alors que les plaignants réclamaient la confiscation du passeport de M. Ghali et sa détention provisoire. Cette décision du juge espagnol a suscité une énorme colère chez les autorités marocaines et une vague d’indignation chez les avocats du Royaume, qui accusent la justice espagnole d’impartialité.

Colère marocaine
Probablement dans un souci de ne pas envenimer la crise avec le Maroc, les autorités espagnoles affirment avoir averti les autorités marocaines du départ de Brahim Ghali de l’Espagne. Quant à la justice espagnole, elle cherche, elle aussi, à ne pas trop froisser le Maroc en ouvrant, mercredi 2 juin, une enquête pour faux et usage de faux contre certains milieux ayant permis à Brahim Ghali d’entrer sur le territoire espagnol sous une fausse identité.

En effet, selon le célèbre journal espagnol, ABC, un juge du tribunal numéro 3 de Logroño aurait ouvert une procédure judiciaire pour déterminer si le chef du Polisario est entré en Espagne le 18 avril 2021, en provenance d’Algérie, avec de faux documents. Le quotidien précise que l’ouverture de cette enquête fait suite à une plainte déposée le 26 mai par l’association Manos Limpias, pour le délit de falsification de documents. Pour le juge d’instruction, José Carlos Orga, cité par ABC, «les faits présentent des caractéristiques qui présument de l’existence d’un possible délit de falsification par un particulier d’un document public ou commercial».

L’enquête préliminaire doit justement permettre d’éclaircir les circonstances des faits incriminés et faire la lumière sur les personnes qui sont intervenues. Une autre plainte, similaire à celle de Manos Limpias, a été déposée pour faux et usage de faux. «Un avocat de Valence a en effet enregistré, le 26 mai, une offensive pour le même motif, lorsqu’il a compris qu’il y avait des indices d’un crime de falsification de documents», écrit le quotidien.

Le chef du Polisario était arrivé le 18 avril 2021 dans le plus grand secret, à bord d’un avion médicalisé de la présidence algérienne et muni d’un «faux passeport diplomatique», selon le quotidien El Pais. Il avait ensuite été admis dans un état critique à l’hôpital San Pedro de Logroño sous une fausse identité, «Ahmed Benbatouche».

L’affaire a rapidement été démasquée par les services secrets marocains, qui ont révélé en quelques heures seulement la véritable identité de ce mystérieux voyageur qui a bénéficié de la complicité des autorités espagnoles. C’est le début d’un énorme scandale d’Etat aux répercussions graves sur les relations bilatérales entre les deux pays.

Confiance brisée
Confiance brisée La diplomatie marocaine n’a pas tardé à réagir en publiant plusieurs communiqués successifs pour dénoncer cet acte d’infiltration d’un criminel de guerre recherché par la police internationale et faisant l’objet de plusieurs plaintes pour viol, agressions et tortures. Alors que la personne de Brahim Ghali en elle-même n’intéresse pas tellement les autorités marocaines pour être la véritable cause de la grave crise diplomatique actuelle entre les deux pays, le ministère des affaires étrangères a publié, mardi 1er juin, un long communiqué où il évoque les vraies raisons de la crise maroco-espagnole. Pour le ministre des affaires étrangères, Nasser Bourita, le fond du problème est une question de confiance brisée entre partenaires.

Le fond de la crise est une question d’arrière- pensées espagnoles hostiles au sujet du Sahara, cause sacrée de l’ensemble du peuple marocain. «La crise n’est pas liée au cas d’un homme. Elle ne commence pas avec son arrivée pas plus qu’elle ne s’achève avec son départ. C’est d’abord une histoire de confiance et de respect mutuel rompus entre le Maroc et l’Espagne.

C’est un test pour la fiabilité du partenariat entre le Maroc et l’Espagne. Si la crise entre le Maroc et l’Espagne ne peut s’arrêter sans la comparution du dénommé Ghali, elle ne peut pas non plus se résoudre avec sa seule audition. Les attentes légitimes du Maroc se situent au-delà. Elles commencent par une clarification, sans ambiguïté, par l’Espagne de ses choix, de ses décisions et de ses positions», précise, en effet, le communiqué incendiaire de la diplomatie marocaine.

La réaction du président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, est tombée quelques heures plus tard, pour lier la crise diplomatique entre le Maroc et l’Espagne aux flux migratoires qui se sont déversés sur Sebta fin mai. Mais Nasser Bourita s’est empressé de rejeter les propos du haut responsable espagnol, soulignant à juste titre que la crise bilatérale n’est pas liée à la question migratoire, et que «la genèse et les raisons profondes de la crise sont désormais bien connues, notamment de l’opinion publique espagnole».

«Évoquer la migration ne doit pas être un prétexte pour détourner l’attention des véritables causes de la crise bilatérale», conclut ainsi le ministre. En tout état de cause, l’affaire Brahim Ghali ne semble pas encore terminée, même après l’exfiltration de celui-ci par l’Espagne. Tout comme la crise ouverte entre le Maroc et l’Espagne, dont la solution réside dans l’adoption par le gouvernement espagnol d’une véritable attitude de partenariat claire et sincère avec le Maroc. Et l’affaire Brahim Ghali n’a fait que montrer le vrai visage d’une Espagne peu loyale et fortement complice avec nos ennemis.

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