Hicham Mansouri - © Ph : DR
ARRESTATION. La condamnation du journaliste Hicham Mansouri, chef de projets de l’Association marocaine de journalisme d’investigation, à dix mois de prison ferme, le 30 mars 2015, pour adultère continue de faire couler beaucoup d’encre. En cause les étranges ressorts de cette affaire.
Quantité de feuillets ont été noircis sur ce que l’on n’a pas manqué de cataloguer de «Mansourigate». Et pourtant la mobilisation tant des journalistes nationaux que d’organisations non gouvernementales (ONG) nationales et internationales si ce n’est de citoyens lambdas solidaires de ce journaliste chef de projets de l’Association marocaine pour le journalisme d’investigation (AMJI) ne semble pas encore prête de porter ses fruits: depuis le 19 mars 2015 Hicham Mansouri, le principal accusé dans cette mystérieuse affaire, est embastillé dans la ville de Salé dans la prison de Zaki, de sinistre réputation pour abriter certains des plus dangereux criminels du pays mais surtout les principales figures du “djihadisme”, professant le terrorisme au nom de la religion musulmane. C’est aux côtés de personnages de cette engeance que se trouve M. Mansouri. Le 30 mars 2015, le tribunal de première instance de la capitale, Rabat, l’a condamné à dix mois de prison ferme et 40.000 dirhams d’amende. Son crime? «Préparation d’un local pour la prostitution et participation à un adultère avec une femme mariée».
Voilà comment expliquait dans un communiqué, le 19 mars 2015, la préfecture de police de Rabat- Salé-Skhirat-Témara-Khémisset l’arrestation de M. Mansouri. Elle y allait même de force détails, faisant mention «d’un procès-verbal assorti d’un rapport d’expertises génétiques et techniques réalisées sur les preuves prélevées dans l’appartement».
“Jugement injuste”
Ce communiqué avait été publié suite à des «allégations gratuites», affirmait-il, d’un journal électronique, non nommé, lequel aurait prétendu d’après la police que M. Mansouri avait été arrêté «en dehors du cadre légal». Cette foisci dans un deuxième communiqué, le 10 avril 2015, en réaction à ce qu’elle affuble une nouvelle fois du vocable d’«allégations» de l’agence de presse française Agence France Presse (AFP) «sur les conditions d’arrestation» de M. Mansouri, la préfecture de Rabat réitère que «le mis en cause a été appréhendé en flagrant délit d’adultère» et «que des preuves matérielles ont été saisies», poursuit-elle. L’AFP s’était fendu la veille, le 9 avril 2015, d’une dépêche faisant état de l’appel du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), représentant les journalistes nationaux, de même que les ONG Reporters sans frontières (RSF) et l’AMJI en faveur de la libération de M. Mansouri. Elle postulait le «jugement (…) injuste et entaché d’irrégularités» relevé par le SNPM à l’endroit du procès. Sauf que la réponse de la préfecture de Rabat va plus loin et livre somme de détails sur les conditions ayant entouré l’arrestation de M. Mansouri.
Mise à l’écrou
D’abord soutient-elle, Khalid Mansouri, le frère du prévenu, aurait été informé de l’arrestation de ce dernier à qui il aurait même rendu visite dans les locaux du service préfectoral de la police judiciaire. Khalid Mansouri affirme cependant le contraire et n’aurait pu visiter son frère qu’après sa mise à l’écrou à Zaki.
En outre tant lui que les avocats de M. Mansouri, notamment Me Naima El Guellaf, ajoutent qu’ils n’auraient su le pourquoi de l’arrestation qu’après les 48h de garde-à-vue. Durant ce laps de temps d’après Khalid Mansouri, avec qui Maroc Hebdo est entré en contact, «cinq services» précise-t-il se seraient relayés pour interroger son frère, lui aurait témoigné ce dernier lors de leur entrevue en prison. M. Mansouri aurait notamment été questionné sur ses rapports avec le terrorisme et ses relations avec le président de l’AMJI, Maâti Monjib, bien loin des accusations d’adultère. M. Mansouri l’a lui-même déclaré à son procès. La préfecture de Rabat fait en outre mention de l’époux de la femme avec laquelle M. Mansouri a été appréhendé le 17 mars 2015. D’après la police, l’homme en question, à l’extérieur de Rabat lorsqu’il a été contacté révèle-telle, «a été convoqué pour garantir son droit de présenter une plainte» et «a tenu à poursuivre sa femme durant toutes les étapes du procès». Selon les informations recueillies cependant auprès du Comité Liberté pour Hicham Mansouri, il aurait été près lors du procès de retirer sa plainte si ce n’était l’intervention de parties tierces, lesquelles l’auraient pris à l’écart jusqu’à le convaincre de maintenir ses poursuites.
La femme avait en outre prétendu être au départ divorcée, poursuivent nos sources. Par ailleurs, le voisinage de Hicham Mansouri aurait été empêché de témoigner en sa faveur, principalement sur l’accusation de préparation d’un local pour la prostitution. Enfin la préfecture conclut sur l’expertise médicale effectuée par le service de médecine légale, laquelle avait relevé que M. Mansouri «ne souffrait d’aucune incapacité fonctionnelle ni de troubles de mouvement, tout en présentant des égratignures datant de quelques jours». Ce n’est pourtant pas ce que rapportait l’AMJI le 17 mars 2015.
Dans un communiqué, elle avait affirmé que M. Mansouri avait été battu au visage et à la tête. Dix policiers auraient illégalement fait irruption au domicile de M. Mansouri, forcé sa porte et l’auraient dépouillé de ses vêtements, avait-elle détaillé. C’est d’ailleurs les conditions d’arrestation de l’intéressé qui prêtent le plus à controverse.
D’après Khalid Mansouri, M. Mansouri l’aurait appelé vers 10h pour lui demander si c’était lui qui tentait de s’introduire à son domicile. Rapidement, Khalid Mansouri se serait rendu au quartier de l’Agdal, où son frère Hicham loue son appartement, mais sur place les policiers l’auraient empêché de monter.
“Décision politique”
Abdessamad Iach, compère à l’AMJI de M. Mansouri et que ce dernier ditil aurait également prévenu soutient la même version. Khalid Mansouri dispose en outre d’un document d’un expert judiciaire attestant que les portes ont bel et bien été enfoncées. L’objectif d’après Khalid Mansouri aurait été que personne ne puisse témoigner plus tard des conditions de l’arrestation.
La question se pose cependant de savoir pourquoi M. Mansouri a été arrêté ? Y a-t-il en vérité anguille sous roche? Contacté par nos soins, M. Monjib nous a affirmé que l’interpellation de M. Mansouri était «une décision politique par excellence».
M. Mansouri, lui, a révélé lors de son procès qu’il enquêtait sur la surveillance électronique au Maroc. Les premiers résultats lui auraient permis de lever le voile sur certaines parties oeuvrant dans ce domaine au profit des autorités.