Le gouvernement ne voit rien, n'entend rien, ne dit rien

Gestion de la crise sanitaire

Un système de santé défaillant depuis des décennies. Un manque important de professionnels de santé. Des patients Covid qui peinent à se faire tester. Une prise en charge inaccessible. Une rétention d’informations concernant les vaccins en cours de test.

Au Maroc, le système de santé est au bord du chaos. Des hôpitaux publics saturés et faiblement équipés aux cliniques privées appelées en renfort sans faire montre de patriotisme, en passant par des pharmacies d’officine qui manquent de médicaments essentiels, le constat est alarmant. Mais commençons par sa description. Des patients qui souffrent le martyre pour se faire tester dans de nombreuses villes ou se faire prendre en charge à temps et d’autres livrés à la merci des cliniques privées, censées, elles, venir à la rescousse d’un système public fragile et défaillant à bien des égards.

La résultante, les cas positifs et les décès continuent d’augmenter dans le pays, qui affronte une deuxième vague assez forte. La psychose et l’incertitude sont générales. En première ligne dans la stratégie nationale de lutte contre la propagation du nouveau coronavirus, les hôpitaux publics et leurs personnels (médecins et infirmiers) se sont avoués vaincus et désarmés face à l’ampleur de la pandémie.

Désordres et dysfonctionnements
Le point de faiblesse de cette stratégie de lutte, qui est un secret de polichinelle, c’est l’état piteux des infrastructures sanitaires et notamment des CHU (Centres hospitaliers universitaires) auquel le ministre de la Santé n’a jamais remédié, même en recevant 2,2 milliards de dirhams au titre du Fonds spécial de gestion de la pandémie. Le CHU de Casablanca, vers lequel des patients de toutes les régions du Royaume affluent, est un cas édifiant. Il n’est pas bien (ou pas suffisamment) équipé en termes de matériel médical et manque de manière flagrante de personnel médical et paramédical. En vérité, la capacité d’accueil de tous les hôpitaux publics, en période normale (en dehors de cette période de pandémie s’entend), n’apporte pas une réponse adéquate au besoin exprimé au quotidien.

Que dire aujourd’hui avec les milliers de cas de Covid? Des dizaines de patients, Covid ou autres, attendent des rendez-vous dans des locaux dégradés, certains à même le sol. On leur demande de prendre rendez-vous sur plusieurs mois. Les médecins et infirmiers sont dépassés. L’hôpital manque de personnel, de matériel… Bref, de tout. Les désordres et dysfonctionnements de ces bâtiments sanitaires et de leurs installations techniques sont tout bonnement bouleversants et irrécusables. Anas Doukkali, l’ancien ministre de la Santé, avait lancé le 25 janvier 2019 un appel d’offres pour désigner des bureaux d’études qui se chargeraient de passer sous la loupe 133 hôpitaux dans les 12 régions du Maroc, CHU, hôpitaux de proximité, centres hospitaliers régionaux et provinciaux, hôpitaux psychiatriques... Tout est compris.

Démagogie politicienne
L’ouverture des plis était prévue le 11 mars 2019 et la mission devait durer 8 mois à compter de la date de notification de l’ordre de service. Nous sommes en novembre 2020. Et à ce jour, le sort de cet appel d’offres demeure inconnu. Avec 6,2 médecins pour 10.000 habitants (loin des objectifs de l’OMS de 15 pour 10.000), le pays dispose de seulement 3.853 médecins généralistes et 7.553 spécialistes dans le secteur public. Le déficit est encore plus criant quand on évoque les spécialités: seulement 134 médecins en neurochirurgie, 128 médecins en oncologie, 63 en hématologie, 42 en chirurgie cardio-vasculaire et 42 en réanimation médicale, 15 en immunologie…

«Allah Ghaleb». Ah, fatalité, quand tu nous tiens! De couleurs politiques diverses, les ministres de la Santé qui se sont succédé à la tête de ce département ont hérité de cette démagogie politicienne pour évacuer à chaque fois leurs responsabilités: «J’ai hérité d’un passif lourd de mes prédécesseurs qu’il va falloir d’abord diagnostiquer pour établir une véritable stratégie». Pour chaque ministre qui s’assoit confortablement sur sa chaise en cuir véritable, c’est sa stratégie qui va solutionner le problème! Ils disent tous la même chose. Des mois et des mois pour diagnostiquer. Un peu plus d’un an pour échafauder une stratégie.

Le privé appelé en renfort!
Et, à la fin du mandat, la stratégie se trouve au premier stade de son déploiement. Quel gâchis! Face à une pandémie en métastase et à cette faiblesse caractérisée du secteur de la Santé publique, certaines cliniques privées ont décidé de prêter main forte, depuis le mois de mai 2020, au secteur public paralysé. Bien entendu, elles ont reçu l’aval du département de tutelle. En effet, elles se sont engagées auprès du ministère de la Santé en mettant à disposition leurs équipements et leurs locaux censés servir de renfort, dans un premier temps.

Quelque temps après, elles ont été invitées à récupérer leurs équipements. Puis, elles se sont mises à contribution, à titre privé. Cette expérience leur a ouvert grands les yeux. Elles y voyaient un business juteux à développer. Le ministère de la Santé avait déjà, peut-être en prévision de ce qui allait advenir, une nomenclature ou une grille tarifaire des prestations relatives à la prise en charge de la Covid-19 dans le cadre de l’AMO (Assurance maladie obligatoire). Cette couverture médicale de base des soins anti-Covid n’était pas destinée aux pauvres et aux couches aux revenus limités, comme certains médecins du secteur privé et propriétaires de cliniques privées ont voulu le faire accroire, mais bel et bien à tous les Marocains, quels que soient leurs conditions sociales et leurs moyens financiers.

Evidemment, ceux qui veulent fuir l’hôpital public et sa liste d’attente interminable pouvaient s’attacher les services du secteur privé. Les cliniques avaient une référence, une nomenclature des tarifs à respecter. Or, dans la majorité écrasante des cas, cette nomenclature des tarifs et des médicaments remboursables n’a pas été appliquée. La grille de l’AMO montre qu’une journée d’hospitalisation coûte 550, 1.000 ou 1.500 dirhams, selon qu’il s’agisse d’un cas Covid modéré, sévère ou critique. Dans la réalité, ce tarif atteint 10.000 dirhams la nuit. Et, de l’avis des victimes de ces abus et des associations de protection des consommateurs (voir l’interview de Bouazza Kherrati, président de la FMDC), il y aurait une entente sur les prix entre les cliniques qui ont un service Covid. A Casablanca, le prix exigé est de 10.000 dirhams et 5.000 dirhams à Rabat.

Autre exemple: selon la grille tarifaire AMO, dans les différents cas qui définissent l’état du patient Covid, les prix des prestations et soins confondus (diagnostics, bilans et traitements confondus) oscillent entre 1.100 et 6.000 dirhams. Or, les familles des patients Covid qui ont osé parler de la surfacturation des prestations et soins par les cliniques privées, évoquent des montants faramineux: 100.000, 140.000 voire 200.000 dirhams. C’est exagéré! En sus de cela, on impose aux familles des patients un acompte à l’avance qui varie entre 10.000 et 40.000 dirhams. Vivement la solidarité!

C’est donc une tarification libre, à la tête du client. Depuis quelques jours, légion sont les vidéos circulant sur les réseaux sociaux dans lesquelles des familles de patients Covid signalent, à visage découvert, les pratiques frauduleuses de certaines cliniques qui surfacturent les prestations tout en s’abstenant à donner des détails, une facture ou un compte rendu sur la situation du patient. Les mécontents, doublement peinés par les souffrances de leurs proches et par les factures exorbitantes des cliniques privées, dénoncent aussi le fait que les montants exigés n’étaient pas justifiés car les malades n’étaient pas isolés et n’avaient pas obtenu un traitement anti-Covid. Comme attendu, les cliniques concernées ont tout nié en bloc. Elles ont l’avantage inestimable que leurs «protagonistes» ne disposent pas, dans le gros des cas, de justificatifs. Par justificatifs on entend factures. De bonne guerre! C’est leur droit!

Pratiques frauduleuses
Mais un cas a échappé à leurs calculs et à la règle des doléances diffusées dans des vidéos ou celles ayant atterri chez des organisations non gouvernementales de protection des consommateurs. Une dénonciation a été portée par une institution qui jouit de crédibilité, notamment dans l’échiquier sanitaire du pays. Saâdia Moutawakil, présidente du Conseil régional des pharmaciens du Sud, a adressé, mercredi 4 novembre 2020, une plainte et une demande d’ouverture d’enquête au ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb.

Dans sa lettre, Mme Moutawakil dénonce la facturation par la clinique Achifaa, à Casablanca, d’un montant astronomique à la famille du défunt Haddaji Saïd, pharmacien inscrit au Conseil régional des pharmaciens du Sud, décédé le 2 novembre 2020 des suites de la Covid-19, qui a séjourné 7 jours en service de réanimation. La présidente du conseil régional s’insurge contre le fait que la clinique ait exigé un chèque d’avance de 40.000 DH avant la prise en charge du malade et une facture ou une addition totale de 200.000 DH, revue à la baisse par la clinique à 140.000 DH puis à 76.000 dirhams après négociations avec la famille du défunt et après médiatisation de l’affaire. La même responsable a également dénoncé que la clinique ait exigé le reliquat de 100.000 DH pour remettre la dépouille à la famille. La clinique a nié, officieusement, en bloc la version du conseil régional des pharmaciens du Sud.

Contactée par Maroc Hebdo, afin de tirer au clair cette embrouille, la direction de la clinique n’a pas donné suite à la demande d’explication. «Nous allons vous rappeler pour une rencontre avec M. Tazi». C’était la dernière réponse avant le silence radio. Surfacturation, refus de délivrer les détails sur la situation du patient et une facture en bonne et due forme, indisponibilité du traitement Covid-19, sont autant d’exemples de pratiques à bannir. Mais là où le bât blesse, c’est que le ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb, semble indifférent à ce qui se passe et à ce qui relève de sa responsabilité. Son silence ne peut être traduit que par culpabilité voire complicité tacite.

C’est le silence de tout un gouvernement qui a capitulé face à une pandémie impitoyable et meurtrière. Sinon, comment expliquer que dans le projet de loi de Finances 2021, le gouvernement a consacré seulement 4,2 milliards de dirhams au budget d’investissement du département de la Santé, en hausse de seulement 850 millions de dirhams par rapport au Budget précédent? Comment peut-on, avec un petit budget, faire face à la pandémie et pallier les insuffisances d’un système longtemps affaibli?

Absence de réactivité
Il est même doublement responsable, en ce sens où il n’a rien fait pour augmenter la capacité en termes de lits de réanimation et en termes d’équipements et de ressources humaines suffisants pour faire face à cette pandémie et, en même temps, compte tenu de cette défaillance implacable, il a livré les patients Covid sur un plateau d’or à certaines cliniques privées qui n’ont du patriotisme qu’une opinion faussée, mercantile et opportuniste.

Dans des pays qui se respectent, le ministre de la Santé sera appelé à répondre de son absence de réactivité et d’action qui plonge, dans le cas du Maroc, le pays dans une perspective sombre et incertaine et qui coûte la vie à des centaines de Marocaines et de Marocains, autant ceux qui ont les moyens que ceux qui n’en ont pas. Normalement, ce ministre devrait au moins être entendu par les parlementaires. Ces derniers gardent, eux aussi, le silence. Ils donnent l’impression que ce sont des corps inanimés que seules les élections législatives et communales semblent animer.

L’Etat a jeté l’éponge. Le gouvernement a montré son incapacité à gérer cette crise sanitaire et économique par ricochet. Et le peuple dans tout cela. Mais que veut le peuple? Le gouvernement fait de son mieux avec le peu de moyens dont il dispose, lui rétorque-t-on à répétition. Du reste, la fatalité, opium du peuple, joue le rôle d’un anesthésiant.

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