Le gouvernement et ses relations avec les influenceurs

LE PARI RISQUÉ DE MADAME AMMOR

Ce que viennent chercher les membres de l’Exécutif, en se rapprochant des influenceurs, c’est un peu de la confiance dont ces derniers bénéficient auprès de leurs abonnés ou ‘’suiveurs’’.

Fatim-Zahra Ammor, ministre du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire et certains de ses co-équipiers au gouvernement se rapprochent de ceux qu’on nomme les influenceurs et qui accumulent les abonnés sur les réseaux sociaux. C’est ce qu’elle a fait le 12 avril 2022, lors du lancement officiel du programme Forsa destiné à des jeunes de 18 ans et plus.

La raison de cet intérêt pour les influenceurs tient au fait que ceux-ci ciblent essentiellement les jeunes, âgés de 15 à 30 ans. C’est la raison pour laquelle Mme Ammor et Chakib Benmoussa, ministre de l’Éducation nationale, s’adressent à cette jeunesse qui n’écoute pas la radio, ne regarde pas la télévision, ne lit pas forcément les journaux. Bref, une jeunesse qui échappe aux canaux officiels de la communication publique. C’est le message qu’on essaie de transmettre, n’est-ce pas? Mais toute médaille a son revers. Depuis le début de la pandémie, il y a deux ans, les déplacements et les contacts avec la population des membres du gouvernement se sont raréfiés. Les réseaux sociaux apparaissent donc comme une alternative, notamment pour s’adresser aux jeunes dont on a récemment perçu la détresse psychologique engendrée par la crise sanitaire.

Pour ces membres du gouvernement, c’est aussi une manière de s’affranchir des intermédiaires, des médias traditionnels, de la presse, et de s’adresser directement à la population. Ils se méfient des journalistes qu’ils considèrent comme étant trop critiques vis-à-vis de leurs actions. Mais on ne peut pas détruire une institution, en l’occurrence le quatrième pouvoir, nécessaire à la construction démocratique, quand bien même il dérange. Au fait, la presse est censée déranger, en révélant la vérité! Quand on s’adresse à des influenceuses et des influenceurs, on s’adresse à des gens sans qualification professionnelle pour assurer cette mission de service public d’informer. Tout le monde se dispute l’exclusivité de l’information aux soldats de l’information mais personne n’assume autant la responsabilité sociale comme la presse. Un journaliste est limité dans l’exercice de sa profession par une charte de déontologie, un code de l’édition et de la presse. Sans oublier qu’il est hanté par quelques articles du code pénal qui glissent parfois pour le museler. Un influenceur n’a aucun compte à rendre du langage qu’il tient pour s’adresser à ses ‘’followers’’ lors de ses ‘’lives’’ ou podcasts jusqu’aux fake news dont il est improbable d’identifier la parenté.

Un ministre qui s’adresse à un influenceur fait de la communication ciblée, choisie, sélectionnée. Un journaliste, lui, ne relaye pas l’information qu’il reçoit. Il la vérifie, recoupe, traite et analyse, tout en se gardant de la diffuser en l’absence de preuves tangibles ou de sources fiables. Peut-on comparer l’incomparable? Absolument, non. Que cherche Fatim-Zahra Ammor ou Chakib Benmoussa? Toucher les jeunes sans qualification porteurs d’idées ou faire de la communication institutionnelle? Ou bien faire d’une ‘’forsa’’ deux coups. Au lieu d’inciter les jeunes à consommer du contenu vide de sens sur le web, n’est-il pas du devoir du ministre de l’Éducation nationale d’encourager des initiatives d’éducation aux médias dès le primaire? En tout cas, les journalistes n’ont peur de personne, encore moins de quelques influenceurs ou influenceuses, au nombril exacerbé, qui incarnent notre côté mercantile démesurée et influencent des publics hétérogènes pour acheter une crème hydratante ou un bien immobilier. Nous parlons d’un pays, de sa transition démocratique, qui ne peut aboutir sans l’apport d’une presse indépendante, libre et engagée, qui supervise sa gouvernance.

Autre point avant de fermer cette parenthèse : la jeunesse a, dans sa grande majorité, déserté le champ politique. Depuis longtemps! On ne rencontre presque plus de jeunes militants dans des partis politiques qui ne les séduisent plus. Les jeunes votent de moins en moins aux élections et se méfient beaucoup de la politique. Et ce que viennent chercher les membres de l’Exécutif, en se rapprochant des influenceurs, c’est un peu de la confiance dont ces derniers bénéficient auprès de leurs abonnés. Ces jeunes vont atteindre la maturité et vont se rendre à l’évidence que sans la boussole de la presse, ils ne peuvent accorder leur confiance aussi facilement. Oui, car la presse influence aussi, depuis belle lurette, avant même la naissance de l’internet et du web. C’était l’allié sûr et incontournable des gouvernements. Mais la naissance d’une presse libre a fini par déranger et l’intérêt s’est déversé plutôt sur une nouvelle génération d’influenceurs qui se targuent d’avoir des ‘’suiveurs’’. Mme Ammor, en tant qu’ancien soldat de la communication, il va vous falloir mettre un peu d’ordre et compter avec la presse.

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